La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Dernier caprice

Dernier caprice - Critique sortie Théâtre
crédit photo Christine Sibran : Glenn Gould (Philippe Faure) se livre au rituel d’avant concert

Publié le 10 octobre 2007

L’auteur et metteur en scène Joël Jouanneau compose une fantaisie sur les frasques de Glenn Gould, imaginant les préparatifs de son ultime concert en public.

« C’est dans la loge que se gagne le concert. », jette un supposé Glenn Gould, plongeant les mains parmi les turbulentes fumerolles que crachent méthodiquement deux bassinets. « 87 déjà, au Celsius près c’est parfait. » Chauffer les doigts, étourdir la fièvre des pensées sous la glace, puis avaler trois verres de Vodka, cul-sec. Citron, clous de girofle, deux œufs d’oie. Et renfiler illico les mitaines avant que de pénétrer dans l’arène pour affronter le « marais » des cultureux endimanchés et des critiques internationaux. Ainsi l’exige le strict rituel, réglé au millimètre, tout comme la chaise de piano, bancale de quelques dixièmes, ni plus, ni moins. Le Steinway n’admet pas l’à-peu-près. Le Capriccio de Stravinski non plus. En ce 10 avril 1964, à Los Angeles, le brillant concertiste s’affaire une dernière fois dans sa loge, entouré d’une Petula Clark fantasque et d’un mystérieux Walter Brown : à 32 ans, il s’apprête à faire ses adieux à la scène pour se consacrer entièrement à l’enregistrement en studio.
 
Douce folie
 
Dix ans après Allegria opus 147, magistrale variation sur Chostakovitch, Joël Jouanneau se glisse à nouveau dans l’intimité de la musique. Il pénètre dans l’antre de l’excentrique et suprême pianiste, avant son ultime concert en public. L’auteur et metteur en scène a glané anecdotes légendaires et curieuses manies dans la biographie de Glenn Gould, qui, il faut bien le dire, s’y prête volontiers. Ce perfectionniste maniaque, hypocondriaque et misanthrope tenace, n’eut de cesse en effet de chercher le son « vrai », traquant la musique entre les notes, flairant les touches, grognant au ras du clavier. Avec ses airs de dandy rigolard, il a fini par déformer le costume sombre du pianiste engoncé dans sa rigueur compassée et fait craquer les bonnes manières musicales, insufflant aux partitions une effervescence rythmique jubilatoire. A ces bribes de vérité, Joël Jouanneau a mêlé son vécu et greffé beaucoup d’imaginaire pour composer une fantaisie truffée d’autodérision qui se déploie en une succession de mises en abyme railleuses. Christelle Tual, exquise en pimpante Petula Clark, Modeste Nzapassara, régisseur municipal juste inquiétant, et Philippe Faure, truculent Glenn Gould, dérivent doucement sur la pente d’une douce folie, entraînés par une mise en scène sobrement déjantée. A ce jeu-là, on s’amuse des pointilleuses marottes de l’homme ou de sa cocasserie atrabilaire. Mais on ne saisit guère la profonde singularité de son corps-à-corps avec la musique. Son génie en somme.
 
Gwénola David


Dernier caprice, texte et mise en scène de Joël Jouanneau, jusqu’au 9 octobre 2007, à 20h, sauf mardi à 19h, samedi à 16h et 20h, relâche dimanche et lundi sauf le 8 octobre, à Théâtre ouvert, 4 bis cité Véron, 75018 Paris. Rens. 01 42 55 74 40. Le texte est publié aux éditions Actes-Sud Papiers. Durée : 1h30.

A propos de l'événement


x

Suivez-nous pour ne rien manquer sur le Théâtre

Inscrivez-vous à la newsletter

x
La newsletter de la  Terrasse

Abonnez-vous à la newsletter

Recevez notre sélection d'articles sur le Théâtre