La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Le Cabaret discrépant

Le Cabaret discrépant - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre national de la Colline
Crédit photo : Yves Godin Légende photo : Les danseurs expérimentent les « danses ciselantes » d’Isidore Isou.

Théâtre national de la Colline
d’après Isidore Isou / Conception Olivia Grandville

Publié le 26 janvier 2013 - N° 206

La chorégraphe Olivia Grandville et ses drôles de comparses passent la danse à la moulinette du manifeste du lettrisme dans un cabaret joyeusement subversif.

« Dans cette chorégraphie, le visible doit être ignoré car il sert de tremplin à l’invisible. On montre des gestes pour faire comprendre que la danse est ailleurs ou on parle pour faire penser à la danse. » résume d’un trait lancé face public l’un des six doctes conférenciers-danseurs qui se livrent en chœur à d’improbables gesticulations, aussi savamment argumentées que drôlement déjantées. Là tient effectivement tout l’enjeu de ce Cabaret discrépant, mitonné par Olivia Grandville en effeuillant une à une les conceptions d’Isidore Isou consignées dans le Manifeste de la danse Ciselante (1953). « Il ne s’agit pas de détruire des mots pour d’autres mots, ni de forger des notions pour préciser leurs nuances, ni de mélanger des termes pour leur faire tenir plus de signification. Il s’agit de… ressusciter le confus dans un ordre plus dense, rendre compréhensible et palpable l’incompréhensible et le vague ; concrétiser le silence ; écrire les riens. » : c’est ainsi que le fondateur frondeur du lettrisme définissait son geste radical, qu’il situait « à l’avant-garde de l’avant-garde ». Rien de moins.

Formidable inventivité visionnaire

Amateur danseur, inventeur compulsif de dispositifs créatifs, Isidore Isou démonte méthodiquement les fondements du ballet classique, tout en balançant quelques interrogations existentielles : « La question n’est plus de savoir si l’artiste sait ou non danser mais s’il veut ou non danser ». Voilà qui résonne encore aujourd’hui… Il prônait d’ailleurs une danse de l’amorphe et de l’arythmie, de la lenteur et de l’immobilité, voire de la disparition : autant de propositions que bien des chorégraphes contemporains ont expérimentées, lettristes malgré eux. Passionnée pour les démarches artistiques insolites, la chorégraphe Olivia Grandville applique les théories lettristes au pied de la lettre dans un cabaret désopilant, qui tient autant du happening, du colloque sérieusement loufoque que de la performance. Après quelques salves de slogans et interpellations, une visite express de l’histoire de la danse depuis Louis XIV, les performers emperruqués s’alignent pour faire lecture de quatorze partitions indansables… et pourtant dansés : ballet de lèvres, d’yeux, de mouvements de doigts, de cheveux, d’orteils… dévissent à petits coups le regard sur le rôle de l’interprète comme du spectateur. Joyeusement surréaliste, ce Cabaret discrépant transforme le théâtre en haut lieu d’agitation poétique… Ça fait du bien !

Gwénola David

A propos de l'événement

Le Cabaret discrépant
du vendredi 25 janvier 2013 au samedi 16 février 2013
Théâtre national de la Colline
15 rue Malte-Brun, 75020 Paris

Jusqu’au 16 février 2013, à 21h sauf mardi 19h à et dimanche à 16h, relâche lundi. Tél. : 01 44 62 52 52. Durée : 1h20. Spectacle vu au Festival d’Avignon
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