Fracassés
Pour sa nouvelle création, Gabriel Dufay [...]
Jester show est un spectacle mis en scène par Laurent Laffargue autour d’un roman fleuve de David Foster Wallace. Une vision noire et violente des Etats-Unis.
Au départ, il y a un roman culte outre Atlantique, Infinite Jest, écrit par David Foster Wallace et publié en 1996, traduit en 2015 seulement en français. Un roman de plus de 1500 pages, noir, foisonnant, à la narration fractale et aux accents cyber-punk. Pour en faire un spectacle d’une heure quinze, Laurent Laffargue a dû tailler dans ce récit aussi virtuose que bavard. Une première partie entrelace des récits de personnages qui tentent vainement de se défaire de leurs addictions et et les axiomes ironiques de Pat, charmante doctoresse de l’Ennet House. Sur fond de musique électro et sous une rampe de spots rose et bleue, une esthétique kitsch façon télé poubelle. La deuxième consiste en un long, très long monologue, véritable morceau de bravoure contant l’interminable agonie de Poor Tom qui se répand autant en paroles qu’en liquides divers – pisse, merde et morve verte – « son existence se résumait à ce flux chaotique ».
L’horreur glauque de l’agonie
Il faut avoir le cœur bien accroché pour assister au Jester show. La première partie part dans tous les sens et on ne voit pas trop où le spectacle veut en venir avec ce dispositif répétitif qui égrène les récits de shoot et de sevrage en alternance avec des aphorismes en tous genres débités à la chaîne. « On n’appelle pas les femmes de chicanos, des chicanas », « les méchants croient qu’ils ne sont pas méchants mais que tous les autres sont méchants ». En ligne de mire – une vidéo fondant ensemble des images 100% américaines ( burgers, fitness, jeux video…) attrappe le spectateur dès son entrée – le spectacle d’une société vaine qui, à exciter le désir et la pulsion, crée la névrose et les addictions multiples, aux écrans comme aux drogues les plus dures. Et aussi – sans doute ce qui est illustré – une sacrée bouillie dans les cerveaux. Puis, se déploie hors de son linceul de morgue le monologue de Poor Tom l’incontinent, qui à force de se liquéfier se confond avec l’espace et le temps. Au moins, rentre-t-on alors dans un exercice qui paraît tester volontairement les limites du supportable, via la lenteur et l’horreur glauque de l’agonie, dans une atmosphère mi-Lynch, mi série B. Antoine Basler, entre trans et zombie, fait alors résonner la langue de Wallace. virtuose dans l’exercice de style, à mélanger le gore, le scientifique et le philosophique, qui a toutefois quelque chose de démonstratif et de clinquant. Antoine Basler, comme il la susurre et la fait claquer, prend des accents gainsbouriens version chansons parlées de ses concept albums (Melody Nelson, L’homme à la tête de chou). On y sent un malin plaisir à pousser le spectateur dans les cordes. Personnellement, j’étais k.o. L’ami qui m’accompagnait, lui, jubilait.
Tel : 01 42 36 00 50. Durée : 1h15. Également du 19 mars au 6 avril à la Reine Blanche.