Christian Benedetti met en scène Guerre, de Lars Norén.
Théâtre Studio / texte de Lars Norén / mise en scène de Christian Benedetti
Publié le 20 février 2023 - N° 308
Christian Benedetti interroge l’indicible de la guerre et les stigmates indélébiles qu’elle laisse sur les corps et les esprits, en mettant en scène, en polémologue averti, un texte de Lars Norén créé en 2003.
Que raconte cette pièce ?
Christian Benedetti : L’inracontable. L’indicible. C’est pour cela qu’il est extrêmement difficile d’en parler et surtout de la réduire à son contenu narratif. Je dirais que c’est une pièce après le cri. Comme s’il y avait eu un cri, l’onde de choc de ce cri et que la pièce commençait à ce moment-là. Tous les personnages sont dans la situation de ne pas pouvoir dire. Ce qu’on peut raconter n’est rien en comparaison de ce qui s’est passé. À part la scène où le père essaie de violer la fille et celle où il frappe sa femme, il ne se passe rien. Le spectateur est confronté à ce qu’il imagine. La pièce fait fonctionner notre imaginaire qui nous renvoie à un espace d’horreur. Pour essayer de la comprendre, j’ai cette phrase de T.S. Eliot en tête : « Et je te montrerai quelque chose qui n’est ni ton ombre le matin marchant derrière toi, ni ton ombre le soir venue à ta rencontre, je te montrerai ta peur dans une poignée de poussière. »
« Je dirais que c’est une pièce après le cri. »
Que dit la pièce sur la guerre ?
C.B. : Guerre est un mot aux signifiants multiples : il dit quelque chose à tout le monde sans dire la même chose à chaque fois. Les enfants jouent à la guerre ; les adultes la font ; la guerre déchire les familles ; nous la faisons aujourd’hui, du Mali à l’Ukraine. Mais qu’en est-il des territoires que dévaste la guerre ? On voudrait toujours, comme le père dans la pièce, que tout soit comme avant une fois la guerre terminée. Mais on ne le peut pas. À l’instar de la mère, qui tient sur ses genoux le pantalon qu’elle essaie de recoudre, on ne peut pas recoudre les déchirures causées par la guerre. À cet égard, la pièce est extrêmement ouverte. Mais c’est surtout une pièce sur le silence, qui dialogue avec l’indicible. Les implosions sont intérieures, sans rien de spectaculaire. Les mouvements sont réduits, comme s’il y avait un hiératisme logique de la guerre. Je pense au cri de la chair des autoportraits de Bacon, à celui qui déchire Le Cuirassé Potemkine, au cri muet d’Hélène Weigel dans Mère Courage et ses enfants, aux paysages dévastés des tableaux d’Anselm Kiefer, au blast qui suivit l’explosion de la bombe à Hiroshima. Voilà pourquoi j’essaie de faire silence le plus possible et de laisser parler le texte, en auscultant les traces que laisse la guerre, sur le sol de poussière (titre, rappelons-le, de la dernière pièce de Norén) et sur les hommes. Tous les corps des personnages ont été battus et en portent la trace : tous sont accablés de douleur et portent la guerre en eux. Comment peut-on demeurer vivant tout en étant mort ? Voilà ce que je cherche avec cette pièce, dans laquelle je plonge comme on saute dans l’inconnu.
Propos recueillis par Catherine Robert
A propos de l'événement
Guerredu mardi 14 mars 2023 au samedi 29 avril 2023
Théâtre-Studio d’Alfortville
16, rue Marcelin-Berthelot, 94140 Alfortville
Du 14 mars au 8 avril, puis du 18 au 29 avril 2023. Du mardi au samedi à 20h30. Tél. : 01 43 76 86 56.