La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

« Carte noire nommée désir » de Rébecca Chaillon exprime une colère éruptive et outrancière qui s’attaque au racisme et au sexisme

« Carte noire nommée désir » de Rébecca Chaillon exprime une colère éruptive et outrancière qui s’attaque au racisme et au sexisme - Critique sortie Théâtre Paris Odéon-Théâtre de l’Europe - Ateliers Berthier
© Christophe Raynaud de Lage / Carte noire nommée désir

Odéon – Théâtre de l’Europe, Ateliers Berthier

Publié le 23 novembre 2023 - N° 315
Expression éruptive d’une colère qui s’attaque au racisme et au sexisme, la représentation proposée par Rébecca Chaillon et ses guerrières noires oscille entre puissance organique métaphorique et outrancière leçon de choses  décoloniale.

En juillet dernier lors du Festival d’Avignon, la représentation a suscité de vives réactions. Avec un public quasi extatique, comme si tout d’un coup la pièce permettait enfin de mieux comprendre ce que signifie le racisme ici dirigé contre les femmes noires. Avec également un public agacé voire hostile et agressif, même si on imagine que la grande majorité des personnes qui viennent voir cette Carte noires’opposent à la méchanceté ordinaire du racisme. Les polémiques créées ont aussi suscité une forme de curiosité envers un spectacle réputé hors norme et provocateur. À l’arrivée dans la salle, les spectateurs et spectatrices sont scindés en deux parties : les gradins habituels pour les blancs, des canapés sur le plateau avec service de boissons pour les femmes noires. Un parti pris qui ne sert à rien côté gradin, si ce n’est à constater que les noirs sont peu nombreux dans les théâtres institutionnels, ce qui n’est pas une découverte. Pour les spectatrices noires, le dispositif installe une proximité active entre les performeuses et elles, quoique certaines refusent la demande et préfèrent rejoindre les gradins. Lorsque le public prend place, l’autrice, metteure en scène et performeuse Rébecca Chaillon, fondatrice de la compagnie Dans le ventre, est déjà là à frotter par terre, sans relâche, alors que des tasses suspendues sous les cintres gouttent sur le sol blanc. Puis elle se dévêt, continue de frotter, avec son T-shirt, sa culotte, puis avec son corps nu, frénétiquement, de plus en plus épuisée, au son du tube enjoué Maldon de Zouk Machine. Enfin, une camarade qui jusqu’ici fabriquait des tasses avec un tour de poterie l’aide à s’assoir et lave sa peau blanchie avec application. Les autres performeuses les rejoignent, et avec de longues cordes chacune tresse sur la tête de Rébecca Chaillon de gigantesques nattes, qui se feront racines qui soutiennent et s’élèvent vers le ciel ou lourd fardeau porté sur un pied à perfusion, en une image poétique forte. Cette scène longue, très longue (au bout d’une demi-heure une voix venue du public proteste : « c’est un scandale », à laquelle répond un retentissant : « Ta gueule ! »), frappe cependant par sa puissance métaphorique.
Éprouvant maelström
S’ensuit une succession de saynètes disparates, percutantes ou pénibles, qui visent à régler leur compte aux fantasmes et clichés associés au corps des femmes noires, qui laissent apparaître par éclats très (trop) succincts la singularité des histoires de chacune des huit comédiennes-performeuses Estelle Borel, Rébecca Chaillon, Aurore Déon, Maëva Husband en alternance avec Olivia Mabounga, Ophélie Mac, Makeda Monnet, Fatou Siby et Davide-Christelle Sanvee, qui sont harpiste et chanteuse lyrique, circassienne, céramiste, etc. Inflammatoire, véhément, grotesque, le geste artistique très engagé aggrave les situations, accuse le colonisateur blanc et ses héritages. Ça déborde de tous les côtés, en un maelström éprouvant. Ici la colère claque, tout entière dévolue à exprimer ce qui dérape et abîme dans les rapports entre blancs et noirs. Un moment suspendu de slow dansé offre un beau moment de douceur. De même, l’entente solidaire qui unit le groupe est belle. Pour finir, retour à une forme et un verbe moins outrés, plus flamboyants, plus amples. Reste l’essentiel au-delà d’une scène éruptive : la lutte dans la vraie vie contre la cruauté des mécanismes de domination, appelée à rassembler la plus grande mixité possible de personnes.
Agnès Santi

A propos de l'événement

Carte noire nommée désir
du mardi 28 novembre 2023 au dimanche 17 décembre 2023
Odéon-Théâtre de l’Europe - Ateliers Berthier
1, rue André-Suarès, 75017 Paris

Du mardi au samedi à 20h ; dimanche à 15h ; relâches les lundis, le dimanche 3 décembre et les jeudis 7 et 14 décembre. Tél. : 01 44 85 40 40. Durée : 2h40. Spectacle vu au Festival d’Avignon en juillet 2023.

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