La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Cannes Trente-neuf / quatre-vingt-dix d’Etienne Gaudillère

Cannes Trente-neuf / quatre-vingt-dix d’Etienne Gaudillère - Critique sortie Théâtre Sète Théâtre Molière-Sète
Crédit photo : Joran Juvin Cannes Trente-neuf / quatre-vingt-dix

texte et mes Etienne Gaudillère

Publié le 15 mai 2019 - N° 276

Etienne Gaudillère et la jeune compagnie Y créent un récit théâtral captivant qui explore les conditions de la naissance du Festival de Cannes et son évolution. Une réussite.

Le 14 mai 2019, jour de l’ouverture du Festival de Cannes 2019. Et jour de la création de Cannes Trente-neuf / quatre-vingt-dix au Théâtre Molière à Sète, qui pour l’occasion a recouvert ses marches d’un tapis rouge. Après Pale Blue Dot, une histoire de Wikileaks, créé l’an dernier au Festival d’Avignon (intéressant, mais touffu et fragmentaire), Etienne Gaudillère et les siens réussissent avec ce nouvel opus un pari difficile. Celui de faire théâtre en éclairant la genèse du Festival de Cannes et son évolution, et par là même les multiples interférences entre les champs artistique et politique qui jalonnent son histoire tumultueuse. Depuis ce jour d’automne 1938 où Jean Zay et Philippe Erlanger décident de créer un festival des nations libres en France, pour contrer la Mostra de Venise qui couronne Les Dieux du Stade de Leni Riefenstahl. En passant par l’année 1960 où Simenon a convaincu un jury réticent d’octroyer la Palme d’Or au film « crypto-cochon » La Dolce Vita. Face au mythe écrasant et au phénoménal foisonnement d’événements, Etienne Gaudillère a su dompter le monstre. Il a choisi une chronologie subjective permettant de structurer la partition et de mettre en forme un spectacle lisible, quoiqu’ouvert à une multiplicité de points de vue et de contrastes dans la narration même. Un prologue met en scène Jean Zay et Philippe Erlanger, qui s’opposent au ministre Georges Bonnet, fervent partisan des accords de Munich. Après le coup d’arrêt de la Seconde Guerre mondiale, les enjeux de la Guerre Froide s’invitent au festival, et s’exacerbent autour d’une photo qui fit scandale. Fiction et réalité se télescopent en un feuilleton palpitant et dramatique. Puis, un peu à la manière de Christophe Honoré dans Nouveau Roman, le récit revisite avec fantaisie l’émergence des jeunes artistes de la Nouvelle Vague, fortes personnalités alors unies dans les locaux des Cahiers du Cinéma : François Truffaut, Jean-Luc Godard, Eric Rohmer, Jacques Rivette, Claude Chabrol, Agnès Varda et Jacques Demy aussi, dont la rencontre laisse émerger un très beau moment suspendu.

Situations imaginées et faits avérés

Après les révoltes de Mai 68, place à l’année 1975, qui accorde la Palme d’Or à la fresque algérienne Chroniques des années de braise. Puis à la palme accordée au tout jeune Steven Soderbergh pour Sexe, Mensonges et Vidéo (1989), beau film porté par un producteur débutant, Harvey Weinstein. Les comédiens sont formidables : Marion Aeschlimann, Clémentine Allain, Anne de Boissy, Étienne Gaudillère, Fabien Grenon, Pier Lamandé, Nicolas Hardy, Loïc Rescanière, Jean-Philippe Salério et Arthur Vandepoel interprètent divers personnages avec un talent sûr. Par touches successives paraissent les mues et les crises du festival, alors que l’industrie culturelle consolide sa puissance. Au fil des tableaux et des atmosphères, de la veine burlesque aux moments de gravité, l’auteur et  metteur en scène évite les écueils du didactisme et de la reconstitution, et crée un puzzle captivant où s’imbriquent situations imaginées et faits avérés. Un puzzle profondément vivant, où les relations entre art et politique, bien que contextualisées, font résonner avec acuité des enjeux qui traversent les époques. Avec humour et inventivité, la partition opère des compressions, des raccourcis, des accélérations, en jouant de tous les artifices du théâtre, sans jamais avoir recours à des images de films. Si quelques épisodes pourraient être resserrés dans les dernières parties, la pleine réussite du spectacle se mesure à travers les multiples tensions qui fragilisent l’utopie initiale, mais aussi à travers son rapport au temps et à la mémoire, et son attention à l’humanité des personnages. La scène finale est poignante.

Agnès Santi

A propos de l'événement

du mardi 14 mai 2019 au mercredi 15 mai 2019
Théâtre Molière-Sète
avenue Victor-Hugo 34200 Sète.

à 20h30 et le 15 à 19h. Tél. : 04 67 74 02 02.

Tournée

A La Comédie de Saint-Etienne, Centre dramatique national, le 22 mai 2019 à 20h. A La Comédie de Saint-Etienne, Centre dramatique national, les 23 et 24 mai 2019 à 20h. Theâ̂tre du Vellein - CAPI – Villefontaine, Mardi 28 mai 2019 à 20h30. Théâtre de Villefranche, les 2 et 3 octobre 2019. Théâtre 71, Scène nationale de Malakoff, les 8 au 16 janvier 2020. Théâtre Firmin Gémier, Châtenay-Malabry, les 18 et 19 janvier 2020.  Maison des Arts, Thonon-Evian, le 20 février 2020.

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