La Jeune fille et la Morve
Toute ressemblance avec la Jeune Fille et la [...]
Figure majeure du théâtre polonais, Krzysztof Warlikowski et son Nowy Teatr inventent un cabaret en toute liberté.
Glisser sous la peau du quotidien pour toucher l’humain en ses replis cachés, desceller les silences enfouis sous la conspiration des fabricants de l’histoire… Avec grand art, Krzysztof Warlikowski gratte les plaies durcies par le temps et fait du théâtre un laboratoire de vérité où se révèlent les ombres passées en clandestinité et les tabous que la société voudrait bien coulisser derrière de brillantes valeurs. Ou bien l’oubli. Qu’il aborde les classiques, des Grecs à Shakespeare, ou les auteurs contemporains, de Sarah Kane à Hanoch Levin, le metteur en scène frappe au revers des mots les résonnances métaphysiques et traque l’innommable au cœur des hommes. La marginalité, la fausse religiosité polonaise, l’identité sexuelle et l’homosexualité, la culpabilité envers les Juifs et l’Holocauste, le pardon, le matérialisme, le sacrifice, le poids de l’héritage familial : autant de questions souvent encore troubles qui travaillent la mémoire collective comme l’être intime et s’échappent en secret dans un vague murmure d’angoisse. Politique par ses questionnements et ses déflagrations, son théâtre vibre dans la chair, scrute ses propres fissures tout comme celles des comédiens. Chaque création va fouiller leur vécu, dans un processus qui écorche les carapaces jusqu’au sang. Sans doute est-ce ce qui leur donne leur brûlante justesse.
Quête métaphysique
Avec quelques-uns des fidèles de sa troupe, il s’est installé dans un ancien garage d’avant-guerre situé au centre de Varsovie pour fonder le Nowy Teatr : un lieu culturel pluridisciplinaire qui se revendique espace de libre expression, en marge des boutiquiers et autres marchands de divertissement. « Cabaret Varsovie est la première étape de notre parcours. » explique Krzysztof Warlikowski, qui, comme dans le magistral (A)pollonia en 2009, fait ici œuvre à partir de fragments, extraits notamment de I Am a Camera, pièce de l’Américain John Van Druten (1951), Shortbus, film de John Cameron Mitchell (2006), ou encore Les Bienveillantes de Jonathan Littell (2006). « La majorité des auteurs auxquels j’emprunte des choses se situe entre deux mondes : ils ont connu des changements radicaux de société. Ils sont donc un peu comme moi. ». Ces périodes de crise, où se libèrent sans vergogne les peurs enfouies, réarment les conservatismes les plus sombres au nom de la liberté. « Cette liberté-là me paraît suspecte : elle est en train de devenir un assujettissement collectif. C’est comme si l’on donnait notre accord à la limitation des libertés au nom d’un « bien commun », d’une « sécurité commune », imaginaires. ». A cette normalisation bien pensante qui se drape joliment dans l’étendard des séides de l’ordre, Krzysztof Warlikowski et les artistes du Nowy Teatr opposent la liberté de l’art, comme acte de résistance.
Gwénola David
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