Bros, conception et mise en scène Romeo Castellucci

A l’entrée de la Salle Oleg Efremov de la Maison de la culture de Seine-Saint-Denis, où la dernière création de Romeo Castellucci est présentée jusqu’au 19 février avant de rejoindre l’Italie, l’Allemagne, les Pays-Bas…, trois textes sont proposés à la lecture des spectateurs. Le premier est l’Index de comportement remis aux participants inavertis, pacte accepté par les hommes recrutés dans la rue pour faire partie de Bros. Vêtus d’uniformes de policiers américains, ces anonymes devant obéir sans ciller aux injonctions qui leur sont transmises à travers une oreillette, se sont préalablement engagés à exécuter ces ordres avec le plus grand sérieux. Au mieux de leurs possibilités et capacités. Même si ces ordres leur paraissent risibles. Ils ont aussi consenti à considérer l’accomplissement de ces actions comme « leur théâtre ». Le second texte (imprimé au verso de cet index comportant au total vingt-cinq engagements) est la traduction en français de sept devises latines qui s’intègrent à certains tableaux. Enfin, un troisième texte reprend des extraits du Livre de Jérémie dits sur scène par le comédien roumain Valer Dellakeza. Un enfant, deux maîtres-chiens tenant en laisse leur animal et deux habitués des créations de Romeo Castellucci (Luca Nava et Sergio Scarlatella) prennent également part à ce théâtre de visions, de compositions et d’écarts, théâtre de conflits et de ressentis qui nous place face à un réel demandant à être transfiguré.

Du visible à l’invisible

Nous sommes plongés dans une atmosphère de pénombre. Dans un univers en noir et blanc au sein duquel fumigènes, vrombissements, flammes, effluves d’encens, scènes de violence et de torture, rituels de groupe, offrandes, vagissements de nouveau-né, moments de calme puis de tumulte, produisent une matérialité théâtrale énigmatique. Comme le dit la banderole brandie, en début de spectacle, par deux figures de policiers : Pars quae apparet sine parte quae non apparet nihil est (Un côté visible n’est rien sans celui qui est invisible). Le théâtre de Romeo Castellucci est lui-même composé de multiples dimensions, se situant pour la plupart au-delà de la réalité qui nous est donnée à voir. Il pointe vers les zones complexes et parfois indistinctes des associations libres. La liberté est sans doute l’un des éléments essentiels de cet art qui, quoique soumis à des dispositifs d’une grande rigueur formelle, tend à faire exploser les normes et les règles communément admises pour permettre à d’autres évidences d’advenir. Des évidences intimes et subjectives, personnelles, qui surgissent par surprise en chacun d’entre nous. On pourrait dire des tableaux de Bros qu’ils se laissent envahir par une forme indéfinissable de beauté. Mais ce ne serait pas vraiment exprimer la force et l’intensité qui nous traversent. Il y a comme un rapport organique au temps, qui semble se distendre ou s’abréger, de façon nécessaire. Il y a un ailleurs qui se manifeste, au loin, mystérieusement, point de fuite d’un processus de création qui nous ébranle, nous déplace et nous met en mouvement.

Manuel Piolat Soleymat