Avignon / 2016 - Entretien / Cendre Chassanne
Bovary, les films sont plus harmonieux que la vie
Théâtre des Halles / de Cendre Chassanne / d’après Madame Bovary de Gustave Flaubert / mes Cendre Chassanne et Pauline Gillet Chassanne
Publié le 26 juin 2016 - N° 245En compagnie de sa fille Pauline Gillet Chassanne, Cendre Chassanne interroge la figure d’Emma Bovary aujourd’hui.
Quel processus avez-vous suivi pour porter à la scène le roman ?
Cendre Chassanne : Un long processus… Un jour on sait qu’on fera quelque chose de ce choc intime qu’on a eu avec un livre. Le processus d’écriture s’est déclenché à travers une phrase obsessionnelle, apparemment anodine : c’est Truffaut qui aurait dû faire le film, à la place de Chabrol. Cette phrase était comme un trait d’union pour nous relier à l’histoire des Bovary aujourd’hui. J’en ai parlé à Pauline, ma fille, qui finissait ses études de comédienne à Bruxelles et je lui ai proposé de travailler avec moi sur la figure d’Emma. Le malheur d’Emma m’a toujours saisie. Delphine Delamare, qui inspire Flaubert pour écrire Madame Bovary, c’est du réel. En invitant ma fille à travailler sur cette figure, nous allions interroger Emma aujourd’hui, nous engager dans quelque chose qui a à voir avec la transmission entre femmes, et avec la consolation. J’ai beaucoup de compassion pour Emma, beaucoup de tendresse pour Charles. Et a fortiori pour la petite Berthe, celle qui reste à la fin.
« Nous engager dans quelque chose qui a à voir avec la transmission entre femmes, et avec la consolation. »
Comment apparaît Emma ?
C. C. : Parler d’Emma, c’est ouvrir un débat sur l’émancipation. Le 19ème siècle est conservateur, moralisateur et aime les dominants. On a lu pour la plupart Madame Bovary au lycée et on a souvent été agacé par les états d’âme d’Emma. En fait, on a l’esprit cadenassé par la vision que la censure a tâché d’imposer au moment de la sortie du livre. Mais Emma ne peut pas être réduite à une femme inconsistante et coupable d’adultère ! Ses états d’âme ouvrent sur des questions existentielles, des questions d’émancipation, féministes et religieuses.
Est-elle une figure moderne ?
C. C. : Elle est une jeune femme banale, provinciale, qui porte en elle les germes de la dépression dès l’adolescence. Jeune fille, elle est éduquée dans l’idolâtrie du Christ, elle se réfugie dans des romans où il n’est question que d’adoration, et d’exaltation du mâle ; elle se construit un idéal sur ces bases. Le problème soulevé par le roman, c’est celui de la transmission. Quels sont les outils que l’on transmet pour aiguiser la conscience ? Emma se débat dans son ignorance avec les concepts de soumission et de responsabilité. Entre Emma Bovary et nous il y a cinq générations, c’est peu finalement. Jésus, Allah, Disney, Les Feux de l’amour : c’est le même topo, entre fantasmes et frustrations. Le poids de la morale et des diktats est encore lourd pour beaucoup d’entre nous, il me semble.
Comment se met en œuvre la relation entre le plateau et l’écran ?
C. C. : J’ai eu envie dans l’écriture de convoquer du cinéma. J’ouvre un dialogue avec François Truffaut. Et comme il s’agit de mettre en miroir Emma Bovary avec nos contemporains, j’ai proposé à Pauline d’incarner cette Emma d’aujourd’hui. Elle est à l’écran, filmée par Octave Paute, et je suis au plateau. Le projet n’est pas d’interpréter Emma Bovary ou les Bovary, mais de faire équipe avec Flaubert et Truffaut, de re-traverser le roman, de raconter les faits, de réhabiliter les protagonistes et d’échafauder un rêve de création.
Propos recueillis par Agnès Santi
A propos de l'événement
Bovary, les films sont plus harmonieux que la viedu mercredi 6 juillet 2016 au jeudi 28 juillet 2016
Avignon Off. Théâtre des Halles
Rue du Roi René, 84000 Avignon, France
à 11h, relâche les 11, 18 et 25 juillet. Tél : 04 90 85 52 57. Durée : 1h20.