La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Bérénice

Bérénice - Critique sortie Théâtre
Crédit : Élodie Maubrun Légende : « Le Rouge et le Noir pour les couleurs de la passion racinienne. »

Publié le 10 décembre 2011 - N° 193

Un coup de fouet pour la Bérénice de Laurent Brethome, où affleurent le souffle obscur et la rage lumineuse de la passion sensuelle racinienne.

Bérénice de Racine (1670) est un condensé d’intensité tragique – à la fois boule incandescente de feu et lourd fragment de glace – , un fondu entre passion et raison reposant sur le pouvoir du verbe et sa magnificence qu’amplifie l’alexandrin. Il y est question de séparation et de rupture exigées par la raison d’État : l’empereur romain Titus et la reine de Palestine Bérénice s’aiment. L’union est impossible, écartelée entre stratégie politique et sentiments intimes. La tragédie est sans action, si ce n’est les hésitations de Titus à choisir entre Rome et Bérénice, fantoche manipulé par Paulin qu’incarne Fabien Albanese. Bérénice balance entre espoir et désespoir, comme Antiochus (Philippe Sire), ami de Titus et amoureux malheureux de la reine, maintenu par Arsace (Thierry Jolivet, consolateur) dans le rêve d’une passion partagée. Laurent Brethome insuffle à ce joyau statique la vie et les fluctuations du désir qui le font briller en majesté. Julie Recoing est une jeune Bérénice flamboyante, décidée, fébrile puis défaite, qui remonte à la lumière comme sauvée, depuis le gouffre intime de la blessure et de la douleur. Thomas Blanchard apporte avec délicatesse, l’ambiguïté tenace et fuyante de ce Titus insaisissable.
 
L’empereur, la reine et Antiochus sont désignés par le rouge éclatant et furieux
 
Les corps sensuels et ardents se meuvent, s’éprennent, se déprennent ou bien se jettent sur la scène. Julien Masse installe les hauteurs oppressantes d’un palais sur la pierre basse d’un bassin cerné d’ombres nocturnes. Sur les murs, une myriade d’ouvertures simulées, portes et miroirs translucides, tableaux de maîtres aux cadres dorés, désigne la puissance et les honneurs. Dans les ténèbres, un apparat de lustres d’époque se balance. L’empereur, la reine et Antiochus sont désignés par le rouge éclatant et furieux, la couleur de la passion, du théâtre et du sang, face aux lumières insuffisantes du monde tel qu’il est vécu pour l’homme de pouvoir. La représentation des arts plastiques, peintures et sculptures, est convoquée sur le plateau avec des rappels de Rembrandt. Titus est comparable à tel puissant en majesté dans son manteau de pourpre, avec son glaive, son écu d’argent et son bras levé vers les cieux. Un peu d’humour avec l’apparition furtive du peintre qui tente de faire le portrait de Titus. L’empereur se prend sans cesse les pieds dans son manteau trop grand et trop lourd. Rutile (François Jaulin) qui fait office de chœur, traîne complaisamment sur le plateau sa dégaine de jeune à la capuche. Des excès aussi, la longue lettre qu’écrit fébrilement à la craie Bérénice. Or, la mise en scène rutilante d’audace réveille la tragédie de son endormissement, un appel d’air revigorant.
 
Véronique Hotte


Bérénice, de Racine ; mise en scène de Laurent Brethome. Du 29 novembre au 10 décembre 2011. Du mardi au samedi à 20h30, jeudi à 19h30, dimanche à 16h. Théâtre Jean Arp 22 rue Paul-Vaillant Couturier 92140 Clamart. Tél : 01 41 90 17 02. Spectacle vu au Nouveau Théâtre d’Angers CDN.

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