L’Ecole des femmes de Molière par Hubert Jappelle
Onze ans après avoir créé la pièce de Molière [...]
Après son cycle Les Insoumises, où elle portait des œuvres et des paroles féminines mises à mal par l’Histoire, Isabelle Lafon revient aux classiques avec Bérénice de Racine. À sa manière de passeuse de poésie.
Depuis Igishanga (2002), où elle portait à elle seule les témoignages de deux rescapées du génocide rwandais, Isabelle Lafon a développé avec sa bien nommée compagnie Les Merveilleuses une façon bien à elle de réactiver des mots, des pensées de femmes battantes. D’« Insoumises », titre qui réunissait en 2016 trois courtes pièces consacrées à autant de personnalités qui ont marqué l’histoire de la littérature : la poétesse russe Lydia Tchoukovskaïa (Deux ampoules sur cinq), Virginia Woolf (Let me try) et Monique Wittig (L’Opoponax). Son adaptation de La Mouette, où elle portait en chœur avec quatre autres comédiennes tous les personnages de la pièce, était pour elle une première entrée en territoires classiques. Exploratrice au long cours, elle y poursuit sa quête d’écritures au croisement de l’intime et du politique, pour s’arrêter sur Bérénice. Une des rares tragédies classiques sans sang, mais non sans douleur. Une tragédie de la séparation amoureuse, du déchirement, où Racine met selon Isabelle Lafon « la langue dans tous ses états ». Où le discours de l’État impose le silence à celui de l’amour, assumé par l’empereur de Rome Titus, par la reine de Palestine Bérénice et le roi de Commagène Antiochus. Accompagnée de sa complice de longue date Johanna Korthals Altes (Bérénice), de Karyll Elgrichi (Titus), Judith Périllat (Paulin) et de Pierre-Félix Gravière (Antiochus), la comédienne et metteure en scène prend Bérénice comme elle a pris La Mouette. L’oreille tendue sur son cœur. Sur ses palpitations.
À la Racine du théâtre
Parmi les quatre comédiens assis autour d’une table, sous le regard d’une Isabelle Lafon qui se dresse un peu plus loin, dans une ombre qui ne cache pas sa fébrilité, c’est le seul homme de la distribution qui ouvre la pièce. « C’est-à-dire que Titus, qui aimait passionnément Bérénice, et qui même, à ce qu’on croyait, avait promis de l’épouser, la renvoya à Rome, malgré lui et malgré elle, dès les premiers jours de son empire », prononce-t-il d’une voix chargée de doutes. Comme si ces mots extraits de la préface de Racine étaient les siens. Et à travers lui, ceux de toute l’équipe. Non seulement des artistes présents sur le plateau, mais aussi des personnes qui n’y sont pas, et qui ont œuvré à la décantation de la pièce de Racine. Cette introduction, ainsi qu’une poignée de répliques évoquant le présent du spectacle, rappelle Les Insoumises. La manière dont Isabelle Lafon et ses interprètes y mettaient en scène leur étonnement, leur admiration pour le courage et la singularité de ses auteures. Endossant des rôles qui ne correspondent pas forcément à leur genre, les comédiens prolongent la surprise. Et ne cessent de la renouveler grâce à de toutes petites trouvailles. Par de minuscules incongruités, telles une cavalcade de Johanna Korthals Altes à travers le vide du plateau, ou une bouleversante intervention de la metteure en scène auprès de la même comédienne, pour lui conseiller de tempérer ses larmes. Isabelle Lafon questionne ainsi ce que Racine, et par là le théâtre, fait à un artiste d’aujourd’hui.
Anaïs Heluin
Les 8 et 12 février 2019 à 20h30, et les 9, 13 et 14 à 19h30. Tél. : 04 76 00 79 00. www.mc2grenoble.fr. Vu au Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis. Également les 20 et 21 février au Théâtre Firmin Gémier/La Piscine.
Onze ans après avoir créé la pièce de Molière [...]