Le Iench d’Eva Doumbia
Dans Le Iench, Eva Doumbia dénonce les [...]
Second volet du diptyque conçu par Julie Timmerman et les siens autour de la démocratie, Bananas (and kings) retrace l’histoire phénoménale de la United Fruit Company en Amérique centrale. Une fresque palpitante, remarquablement orchestrée, qui interroge le naufrage du politique assujetti aux diktats du profit.
En exposant le parcours du neveu de Freud Edward Bernays (1891-1995), pionnier des techniques de manipulation de masse, Un Démocrate (2016), premier volet du diptyque consacré à la démocratie, illustrait implacablement une assertion de Noam Chomsky : « La propagande est à la démocratie ce que la violence est aux régimes totalitaires. » C’est ce même Edward Bernays qui a entre autres justifié le coup d’état au Guatemala en 1954 contre le président réformiste Jacobo Arbenz, dont le projet politique entravait les intérêts de la United Fruit Company. Tout aussi implacable que le premier opus, le second volet du diptyque resserre la focale sur ce coup d’état, et retrace l’histoire faramineuse de la première multinationale de l’industrie agroalimentaire. Fondée en 1899, devenue en 1989 la Chiquita Brands International, la United Fruit Company s’est approprié les ressources, les infrastructures et les terres d’Amérique centrale, asservissant les peuples autochtones, empoisonnant les sols et les hommes. Ce qui convainc dans ce théâtre minutieusement documenté, c’est qu’il ne ressemble en rien à une leçon d’histoire ou une conférence illustrée. Il est au contraire orchestré comme une fiction captivante qui traverse le temps et les continents au fil d’épisodes marquants, finement révélateurs et joyeusement incarnés, malgré la violence glaçante des faits qui ne manque pas de surgir.
Jubilation et efficacité de l’écriture
Cette jubilation de l’écriture, qui s’appuie magnifiquement sur les effets artisanaux du théâtre et sur les pouvoirs du jeu, instille de la force et du souffle dans cette vaste et cruelle épopée. Les politiques ici deviennent des clowns grotesques et monstrueux, une indienne maya devient fantôme tenace ouvrant vers un monde inconnu. Surtout, les personnages principaux, et notamment les deux dirigeants de la firme qui se sont succédés, sont toujours à la fois ancrés dans leur humanité voire leurs fragilités et instigateurs de l’horreur des faits. Quatre comédiens – Anne Cressent, Mathieu Desfemmes, Jean-Baptiste Verquin et Julie Timmerman – interprètent plus de quarante personnages. Le déroulé limpide, vif et rythmé évite le piège du didactisme, comme celui du commentaire ou du surplomb prétentieux. Les faits, rien que les faits, et le théâtre qui les transmet à sa manière singulière, humble et redoutablement efficace. La démonstration est éclatante. « Rien ne se perd, tout se gagne. », placardisons la mauvaise conscience, et la partie peut continuer. Aujourd’hui, alors que cette histoire impressionnante démontre la confiscation du pouvoir politique par les intérêts économiques, alors que les enjeux écologiques appellent des solutions urgentes, que les enjeux sociaux nourrissent le débat public, faut-il vraiment désespérer du politique ? Que de réponses contrastées suscite cette question essentielle… Ce qui est sûr, c’est que la démarche artistique de la compagnie qui éclaire si bien cette triste histoire invite justement à répondre par la négative et à se saisir de nos marges de liberté.
Agnès Santi
Tél : 01 42 05 47 31.
Puis tournée : Théâtre André Malraux de Rueil-Malmaison (92) les 3 et 4 novembre, Centre culturel Aragon-Triolet d’Orly (94) le 13 novembre, Grange dîmière de Fresnes (94) le 20 novembre, Espace culturel André Malraux du Kremlin-Bicêtre (94) le 11 décembre dans le cadre des Théâtrales Charles Dullin, Théâtre des 2 Rives de Charenton-le-Pont (94) les 4 et 5 février, Théâtre de Cambrai (59) le 11 février, L’Entre-Deux - scène de Lésigny (77) le 5 mars, Espace culturel Boris Vian - Les Ulis (91) le 19 mars, Théâtre du Bordeau - Saint-Genis-Pouilly (42) le 27 mai.
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