La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon - Critique

Avec « Taire » Tamara Al Saadi s’empare du mythe d’Antigone et se place du côté des enfances broyées.

Avec « Taire » Tamara Al Saadi s’empare du mythe d’Antigone et se place du côté des enfances broyées. - Critique sortie Avignon / 2025 Avignon Festival d’Avignon. La Fabrica
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Reprise / La FabricA / Texte et mise en scène Tamara Al Saadi

Publié le 20 juin 2025 - N° 334

Avec Taire, Tamara Al  Saadi signe un spectacle grand format qui s’empare sans peur du mythe d’Antigone pour un appel à ne pas oublier l’enfant intérieur.

Il faut une certaine dose de courage – ou d’inconscience – pour, à la suite de Voltaire, Anouilh, ou encore de Brecht, se lancer dans la réécriture du mythe d’Antigone. Mais Tamara Al Saadi feinte l’ombre potentiellement pesante de ses illustres prédécesseurs en remontant plus en amont qu’eux dans l’histoire de la fille d’Oedipe. Pourquoi Étéocle et Polynice combattent-ils ? Comment Antigone se sent-elle ainsi liée au plus jeune de ses deux frères ? L’autrice donne de nouvelles formes aux origines de l’affrontement fratricide des deux Thébains et, en parallèle, double le récit légendaire d’une histoire contemporaine : Eden, une jeune fille née d’un viol, (mal) prise en charge par l’A.S.E. (Aide sociale à l’enfance), migre de famille d’accueil en foyer de l’enfance et se met à mal tourner. L’entrelacement des deux récits joue ainsi habilement avec les motifs de l’exil, de l’exclusion, du pouvoir et de ses abus à travers une jolie métaphore qui fait de la famille un pays.

Deux trajectoires entrecroisées qui se conjuguent au féminin

Partant du constat largement partagé d’une jeunesse qui va de moins en moins bien – en témoignent les chiffres des problèmes psy qui ont explosé après la Covid, notamment chez les jeunes filles – Tamara Al Saadi prend donc dans Taire le parti des enfants : au sens des infans, littéralement « ceux qui ne parlent pas » en latin, peut-être parce qu’on ne les laisse pas s’exprimer. Son Antigone est emmurée, elle aussi, mais dans un silence réprobateur qu’elle a choisi de garder face à la cruauté de Créon. Au contraire, Eden éructe à tout va la rage qui n’en finit pas de monter en elle, se rendant ainsi inaudible. Deux trajectoires entrecroisées qui se conjuguent au féminin et disent toute la difficulté qu’il y a à vivre dans un monde où le pouvoir reste invariablement dévolu à l’âge et aux hommes. Dans Partie, déjà, elle mettait en scène un garçon d’à peine 18 ans emporté dans la guerre de 1914. De ce très beau spectacle, elle reprend  le fertile système de bruitages produits en direct depuis le plateau, qu’elle double ici de séquences musicales assez envoûtantes conçues par Bachar Mar-Khalifé. Surtout, elle bascule pour la première fois dans une création grand format avec 12 artistes au plateau. Dans une théâtralité qui fait penser à celle de Wajdi Mouawad, la fluidité des enchaînements et le pouvoir de séduction des images scéniques, qu’elle compose à partir d’éléments mobiles simples, lui font franchir le pas de manière prometteuse. Une distribution jeune et diverse où Manon Combes excelle dans la gamme des tyrannies, une pluralité de langues au plateau, la délicatesse d’une écriture qui s’adresse aux adultes comme aux ados complètent la richesse de ce spectacle odyssée.

Eric Demey

A propos de l'événement

Taire
du lundi 21 juillet 2025 au mercredi 23 juillet 2025
Festival d’Avignon. La Fabrica
11 rue Paul Achard, 84000 Avignon

à 13h.

Tél : 04 90 14 14 14.

Durée : 2h.

Spectacle vu au Théâtre Dijon Bourgogne.

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