Cheval
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Vanessa Van Durme signe un texte d’une rare vérité sur la sénilité et les rapports filiaux. Dirigée par Richard Brunel, elle l’interprète avec une humanité poignante et un exceptionnel et éblouissant talent.
On peut d’emblée tout révéler du caractère autobiographique du texte de Vanessa Van Durme, et ainsi inciter le voyeur à scruter ce qu’il reste du corps de l’homme dans celui de la femme transsexuelle, pour gloser à l’infini sur la douleur narcissique de celle que sa mère ne reconnaît pas, non seulement à cause de la maladie, mais surtout parce qu’elle a toujours refusé de voir qui elle était vraiment. Un tel point de vue réduit l’artiste à l’individu et l’œuvre à l’histoire de sa créatrice et interprète, insulte l’immense talent de la comédienne et oblitère son extraordinaire capacité à transcender son vécu par le caractère universel d’un récit, que chacun peut faire sien. D’autant que la prothèse, sous laquelle Vanessa Van Durme cache son corps, et le costume, dans lequel elle joue à la fois la mère et la fille, révèlent et dissimulent en même temps : seins, ventre et fessier déformés par la ptose assassine suggèrent que le corps n’est qu’un tombeau, celui où gît déjà l’esprit malade de la mère, celui dont a ressuscité la femme opérée.
Vanessa Van Durme, Trésor National Vivant
La gangue physique ainsi exposée est aussitôt reléguée au rang des accessoires. Le dialogue est ici entre deux âmes : celle de la fille qui a eu le courage de s’émanciper du sexe mâle où la nature l’avait fourvoyée, cellle de la mère, qui n’a jamais su se délivrer des préjugés odieux qui l’ont empêchée d’aimer son enfant. La fille a affirmé son identité ; la mère, décatie par la maladie d’Alzheimer, est en train de perdre la sienne. La cruauté gît dans cette irrémédiable incompréhension : rien ne pouvait se dire du temps de la lucidité obscurantiste, rien ne peut plus s’entendre dans le trou noir de l’oubli. Pourtant, comme à tâtons, c’est dans cette obscurité que l’amour trouve son chemin, et c’est en la découvrant comme une étrangère que la mère offre à l’enfant la reconnaissance qui lui a tant manqué. Cela, Vanessa Van Durme l’interprète avec une délicatesse, une émotion, une vérité absolument bouleversantes. La mise en scène de Richard Brunel, sobre et précise, offre les conditions d’une écoute absolue. Chaque inflexion, chaque geste, chaque posture sont travaillés comme les plus belles compositions du Nô. A l’instar des grands onnagata, Vanessa Van Durme passe d’un rôle à l’autre, de la vieillarde sénile à sa fille, avec une fluidité hallucinante et une élégance à couper le souffle. Seule importe la théâtralité, plus que le corps ; seul importe le sens, plus que l’enveloppe ; seul importe l’art, plus encore que la vie. « Je suis actrice, mère. », dit la fille. Telle est Vanessa Van Durme : une magnifique, impressionnante, prodigieuse actrice.
Catherine Robert