La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Antigone

Antigone - Critique sortie Théâtre Paris Comédie-Française Salle Richelieu

Comédie-Française / de Jean Anouilh / mes Marc Paquien

Publié le 19 décembre 2013 - N° 216

Reprise de la lumineuse Antigone de Marc Paquien, à l’écoute de la beauté et de l’apparente simplicité du texte de Jean Anouilh. Un mythe revivifié.   

« Vous me dégoûtez tous avec votre bonheur ! Avec votre vie qu’il faut aimer coûte que coûte… Moi, je veux tout, tout de suite, et que ce soit entier, ou alors je refuse ! Je ne veux pas être modeste, moi, et me contenter d’un petit morceau, si j’ai été bien sage ». Placée par Anouilh dans la bouche de son Antigone, la réplique est révélatrice de la distance que l’auteur prend par rapport au texte de Sophocle et de la manière dont il se libère du poids de la dramaturgie tragique antique. Affranchie du poids de la malédiction divine qui pèse sur la famille des Labdacides, l’Antigone d’Anouilh parle en son nom. Non plus au nom de la loi qu’imposent les dieux. Elle dit « moi », poussée hors du mythe, érigée en figure de la modernité, de l’autonomie. Plus qu’une adaptation, cette pièce « noire » d’Anouilh – lequel pense bien à partir de son temps – est une réécriture au point que le dramaturge s’autorise la dérision notamment par la voix du chœur : « c’est cela qui est commode dans la tragédie. On donne un petit coup de pouce pour que cela démarre. C’est tout. Après on n’a plus qu’à laisser faire. On est tranquille. Cela roule tout seul. C’est propre la tragédie ». Limpide, lumineuse, la mise en scène de Marc Paquien revivifie, dans une apparente simplicité où elle puise toute sa puissance d’ébranlement  poétique, cette effraction du mythe et cette irruption du tragique dans notre monde contemporain.

Des interprètes magistraux

« Ce n’est plus une héroïne lointaine, prisonnière de son passé et du pouvoir des dieux, mais une jeune femme qui, refusant que le corps de son frère pourrisse au soleil, incarne toutes les rebellions du monde » note le metteur en scène. Et pour faire entendre la justesse de ses intentions dans toute leur rigueur comme la force de l’écriture de l’auteur,  Marc Paquien s’appuie sur une distribution magistrale. On en juge d’entrée de jeu à l’intensité vibrante de cette première scène démystificatrice voulue par Jean Anouilh. Prise en main avec fermeté mais non sans séduction par Clothilde de Bayser personnifiant le chœur, elle s’empare du public pour ne plus le lâcher. Dans le rôle-titre, Françoise Gillard, aux allures de garçonne, coupe courte, chemise d’homme et pantalon gris, pieds nus ou chaussés à la spartiate, marie à merveille la grâce juvénile et la puissance grisante d’une volonté en acte. De Créon, Bruno Raffaelli, en tout point remarquable, a la stature et les vacillements. Chacun, jusqu’au plus petit rôle, donne à son personnage l’ampleur que le texte promet et que la scénographie, signée Gérard Didier, dans sa belle neutralité et sa simplicité géométrique, autorise. Cette efficacité, qui caractérise également les sobres jeux de lumières et l’usage parcimonieux du son, manifeste une maîtrise profonde et vive de ce chef-d’œuvre dramaturgique du XXème siècle.

Marie-Emmanuelle Galfré 

A propos de l'événement

Antigone
du vendredi 20 décembre 2013 au dimanche 2 mars 2014
Comédie-Française Salle Richelieu
place Colette, 75001 Paris.

Du 20 décembre au 2 mars, en alternance. Tél : 0825 10 1680.
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