La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Au moins j’aurai laissé un beau cadavre

Au moins j’aurai laissé un beau cadavre - Critique sortie Théâtre
Légende photo : Vision d’un monde chaotique Crédit photo : Christophe Raynaud De Lage

Publié le 10 novembre 2011 - N° 192

Le metteur en scène Vincent Macaigne livre une vision librement inspirée d’Hamlet : une expérience jubilatoire.

C’est brutal, vital, sensuel, sanglant, décadent, iconoclaste et foutraque, grotesque et désespéré… C’est un théâtre qui cogne au cœur et vrille les sens, qui souille les bonnes manières de la culture embourgeoisée et blasphème la souveraineté du verbe, qui écorche vif les sentiments jusqu’à creuser des béances innommables. Qui touche à l’essentiel de l’être. Librement inspiré du conte de Saxo Grammaticus et de la tragédie de Shakespeare, Au moins j’aurai laissé un beau cadavre tonne comme la colère d’une jeunesse étouffée dans une société capitonnée, qui se cherche dans l’ordre du monde, cynique et pragmatique, hédoniste et sécurisé. Vincent Macaigne pille Hamlet jusqu’au tripes, il en sort les questionnements existentiels et les puissances contradictoires qui résonnent avec aujourd’hui. La quête d’absolu et de vérité, l’innocence égarée, la société bloquée, la parole confisquée, l’art aseptisé, mais aussi l’ambiguïté et la tentation tyrannique de cette aspiration éperdue… Autant de questions qu’il explose sous la bourrasque d’une énergie anarchiste, lardée de « putain, merde ! ».
 
Le plateau comme champ de bataille
 
Une pelouse verdoyante, percée en son cœur d’une tombe ou d’une fosse à purin, jonchée de couronnes mortuaires et de bouquets fleuris, cernée de quelques squelettes, de drapeaux danois, européens, de distributeurs de boisson, d’une table de banquet et autres accessoires : voilà le champ de bataille, surplombé d’une cabane de chantier où s’inscrit en grosses lettres : « Il n’y aura pas de miracle ici. ». Mais de la boue, du sang, des cris, de la pluie d’or, de la chair, du chaos, de l’amour et de la désespérance. Chez Vincent Macaigne, Hamlet est un « putain de dépressif », comme le lui dit son oncle Claudius, qui a tué son père et vient d’épouser sa mère, Gertrude. Sauf qu’ici, le meurtre venait peut-être délivrer le royaume d’un tyran, situation qui ferre Hamlet, à la fois trash et romantique, dans l’étau d’un dilemme irréductible. Comment libérer sa révolte ? Contre qui, contre quoi ? Chacun se débat dans ce réel bourbeux, comme il peut, révélant une humanité dépenaillée, tiraillée, infiniment vibrante. Les comédiens, impressionnants, prennent à la hussarde ce matériau coupant où les éclats de Shakespeare se mêlent à Nietzsche et à leurs propres répliques. Ils jettent leurs corps dans la lutte et tiennent de bout en bout ce jeu de haute tension, qui frotte le prosaïque et la métaphysique, l’outrance, la violence et l’innocence. Dans une esthétique qui recycle les objets du quotidien et les signes du tragique ancien, mythique, mystique et biblique, Vincent Macaigne fait et défait sans cesse la fiction, mettant ainsi en abyme cette urgence du vivre dans l’art. Survoltée, pas toujours maîtrisée, parfois longuette, trouée de fulgurances mélancoliques et de moments incandescents, la représentation semble s’inventer ici et maintenant. « Le théâtre est l’art d’organiser le scandale »disait Matthias Langhoff. Celui de Vincent Macaigne dérange, découvre le scandaleux, l’obscène que le monde tente de cacher… en un geste naïf et violent, libérateur.
 
Gwénola David


Au moins j’aurai laissé un beau cadavre, d’après le conte original d’Hamlet, écriture, mise en scène, conception visuelle et scénographique de Vincent Macaigne. Du 2 au 11 novembre 2011, à 19h30, sauf dimanche 14h30, relâche 7 novembre. Théâtre national de Chaillot, 1 Place du Trocadéro 75116 Paris. Tél. : 01 53 65 30 00 et www.theatre-chaillot.fr. Durée : 4h. Spectacle vu au Festival d’Avignon 2011.

A propos de l'événement


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