La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Ashes to ashes

Ashes to ashes - Critique sortie Théâtre
Crédit visuel : Claude Bazin Légende visuel : « Un face-à-face qui convoque l’histoire en laissant éclater le temps. »

Publié le 10 avril 2008

Le metteur en scène Claude Bazin dirige Karine Adrover et Eric Franquelin à travers les mots, les fuites et les silences de Ashes to ashes : sans parvenir à faire retentir la pièce de Harold Pinter.

Consacrée par le Prix Nobel de littérature en 2005, l’œuvre de Harold Pinter reste, en France, au sein du paysage représentant ce que l’on appelle le “théâtre d’art”, victime d’une forme de méprise, voire de mépris. Un malentendu et une mésestime qui circonscrivent cette œuvre — certes prolixe, assurément disparate, mais également porteuse d’écrits d’une puissance poétique et politique rare — à des lectures allant au mieux chercher du côté de l’allégorie teintée d’absurde, au pire du réalisme le plus collant et le plus limitatif. Négligé par les programmateurs des grandes institutions publiques, ce théâtre se joue actuellement à l’Essaïon, où l’on peut entendre l’une des pièces les plus passionnantes de l’auteur britannique. C’est en effet dans cette petite salle du Marais que le metteur en scène Claude Bazin tente d’investir Ashes to ashes (précédée du Nouvel ordre mondial, texte du même auteur présenté sous forme d’une vidéo de 7 minutes), un face-à-face homme/femme à travers lequel Harold Pinter laisse éclater le temps pour créer un espace à la lisière de l’abstraction. Un espace pourtant concret mais déchiré, plurivoque, où percent les saillies d’angoisses et de drames atemporels, les pointes de mots et de faits surgis d’un ailleurs indécis.
 
Un espace de contamination
 
Cet espace labyrinthique divulgue, à l’occasion de ces bouffées aléatoires, sa propre contamination par une mémoire collective comme échappée du temps. Laissant ainsi s’interpénétrer des réalités de natures et d’origines dissemblables, il exhume des événements de la Shoah ou d’autres campagnes d’extermination, questionne le rapport diffus qui lie les deux individus mis en présence. Pièce complexe et vertigineuse, creuset d’une multiplicité de sens et d’orientations, Ashes to ashes requiert l’incarnation de grands comédiens, d’artistes virtuoses capables de sculpter les divers champs textuels qui la composent tout en creusant ses nombreuses strates d’interprétation. Silences, fuites, obliquités, rythme et portée des mots… Karine Adrover et Eric Franquelin n’atteignent pas la précision, la singularité, la hauteur, l’amplitude nécessaires à ce genre de performances. Placés par Claude Bazin à l’intérieur d’une relation souvent malhabile — relation soumise à une tension érotique excessive et stérile — les deux interprètes paraissent empêtrés dans un texte qui les déroute, dans un projet théâtral qu’ils essaient, sans succès, de nourrir. Comme si cette pièce, trop retorse pour eux, les renversait au lieu de les transpercer.
 
Manuel Piolat Soleymat


Ashes to ashes (précédé du Nouvel ordre mondial), de Harold Pinter ; mise en scène (et réalisation de la vidéo) de Claude Bazin. Du 14 février au 19 avril 2008. Les jeudis, vendredis et samedis à 21h30. Théâtre Essaïon, 6, rue Pierre au Lard, 75004 Paris. Réservations au 01 42 78 46 42.

A propos de l'événement


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