La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Anne-Marie Lazarini

Anne-Marie Lazarini - Critique sortie Théâtre
Anne-Marie Lazarini

Publié le 10 mars 2008

Mère courage : Comment vit-on le monde dans un tel dénuement ?

Anne-Marie Lazarini monte Mère Courage ave Sylvie Herbert dans le rôle-titre. Une traversée de vingt ans dans un univers en guerre, avec cette fameuse carriole comme métaphore du monde.

Pourquoi avez-vous décidé de monter Mère Courage ?
 
Je n’avais jamais monté Brecht et j’ai eu le désir de m’affronter à cette écriture. Mère Courage me paraît comme une immense montagne à gravir : sur la montagne alternent des parois lisses et des aspérités auxquelles on s’accroche. Dans la pièce de Brecht, des moments de pure comédie alternent dans une très grande rapidité avec des moments tragiques. Comment trouver le passage, se glisser dans ces interstices-là. Heiner Müller disait qu’il y avait du comique dans Mère Courage et qu’on avait tort en Allemagne et en France de monter cette pièce de manière triste. Je suis convaincue qu’il avait raison. C’est surtout la question d’Eilif à sa mère, « Comment vont tes pieds ? », à laquelle elle répond « Le matin, j’ai toujours du mal à entrer dans mes chaussures. », qui me bouleverse. Le coup de cœur du départ, ce fut là. Les pieds portent tout et Courage traverse pendant plus de 20 ans l’Europe en marchant et en tirant sa carriole. Courage, c’est la carriole : son monde entier tient en elle. Quand Courage est menacée de la perdre, elle perd son identité. Au fur et à mesure où ses enfants meurent, la carriole perd des morceaux et se détruit.
 
Quelle comédienne va incarner Courage ?
 
J’ai rencontré Sylvie Herbert il y a 10 ans. Elle a joué dans de nombreuses pièces que j’ai mises en scène : Katherine Mansfield, Tolstoï, Pinget, Labiche et plus récemment Marguerite Duras. Elle fait vraiment partie de l’histoire du théâtre Artistic Athévains. Sans elle je n’aurais jamais monté Mère Courage. C’est à partir du choix de cette comédienne que j’ai pu envisager la mise en scène.
 
 
Les personnages de Brecht semblent toujours ballottés par des forces contraires, souvent de nature sociale et politique. Voulez-vous donner à cette dialectique des résonances contemporaines ? Si oui, de quelle façon ?
 
Courage est prise dans une immense et terrible contradiction : elle pense qu’on peut tirer profit de la guerre et ne voit pas qu’elle va détruire un à un ses enfants. Elle n’imagine aucune autre possibilité que d’y faire « son trou », sans comprendre que c’est son trou qu’elle creuse. De cette contradiction découle toute une série d’interrogations.  Qu’aurait-elle pu comprendre ? A-t-elle rencontré à un seul moment la possibilité d’envisager sa survie autrement qu’individuellement ? Peut-on condamner ce courage de continuer et de chercher à s’en sortir ? Quelles seraient les solutions pour qu’elle et ses enfants puissent réellement vivre ? Dans la pièce la guerre joue comme un verre grossissant révélant l’opposition fondamentale entre les grands de ce monde et les pauvres gens.
 
« Le fameux « Verfremdungseffekt » fait partie de l’héritage  et de notre histoire mais aujourd’hui, je pense qu’on peut s’approprier Brecht autrement et plus librement. »
 
Quasiment soixante ans après la mise en scène de Brecht et Engel à Berlin, qu’est devenu l’effet de distanciation de son théâtre ? Avez-vous conservé les passages chantés et la musique de Dessau ? 
Sur l’effet de distanciation, à bien relire Brecht et les témoignages qu’on trouve sur ses mises en scène, il semble bien que lui-même ne l’appliquait pas particulièrement. Le fameux « Verfremdungseffekt » fait partie de l’héritage  et de notre histoire mais aujourd’hui, je pense qu’on peut s’approprier Brecht autrement et plus librement. On peut  désormais avoir sur cette pièce une entrée plus subjective. C’est dans les tensions, les questions qu’elle soulève qu’il faut se glisser et non se reposer sur « l’héritage brechtien ». Brecht est un poète immense, sa langue donne d’extraordinaires possibilités théâtrales sur le plateau. Quant à la musique, il m’a paru indispensable de garder les chants. Nous n’avons pas conservé la musique orchestrale que Brecht demandait de jouer sur la scène mais nous avons traité chaque chant différemment : a capella, accompagné d’un instrument, joué à la flûte. J’ai aussi voulu reprendre pour le premier chant de Courage, l’enregistrement d’Hélène Weigel au Berliner Ensemble comme une sorte d’hommage.
Propos recueillis par Agnès Santi


Mère Courage et ses enfants de Bertolt Brecht, mise en scène Anne-Marie Lazarini, à partir du 4 mars, lundi, vendredi et samedi à 20h30, mardi  à 20h, mercredi et jeudi à 19h, dimanche à 16h00, au Théâtre Artistic-Athévains, 45 bis rue Richard-Lenoir, 75011 Paris. Tél : 01 43 56 38 32.

A propos de l'événement


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