Festival Go,Go,Go, un temps fort performances au Grütli à Genève
Et si l'on regardait un peu du côté de la [...]
Après Père d’August Strindberg en 2015, Arnaud Desplechin revient à la Comédie-Française pour sa deuxième mise en scène de théâtre. Le cinéaste signe l’entrée au répertoire d’Angels in America, pièce de Tony Kushner qui nous replonge dans l’Amérique de Ronald Reagan, époque marquée au fer rouge par l’épidémie de sida.
Que gardez-vous à l’esprit d’essentiel de votre première création théâtrale, réalisée en 2015 à la Comédie-Française ?
Arnaud Desplechin : Le rapport à l’acteur. Au théâtre, il y a quelque chose de singulièrement bouleversant dans le rapport à l’acteur, qui est totalement différent au cinéma. Cette différence tient au fait qu’au théâtre, lors des représentations, les acteurs sont seuls sur scène. Le metteur en scène n’est plus à leurs côtés pour les guider, les aider. Tout doit alors venir d’eux. J’ai un très grand respect pour cette solitude-là. Au théâtre, on perd le rapport fusionnel que l’on peut avoir au cinéma avec les interprètes, mais on gagne en émotion, on gagne en respect et en écoute d’autrui. Le théâtre m’a appris à écouter pleinement la voix des actrices ou des acteurs.
Avez-vous l’impression que la scène vous a fait évoluer en tant que cinéaste ?
A.D. : Oui, car elle m’a appris à travailler différemment, notamment avec ce qu’on appelle les acteurs naturels, c’est-à-dire non-professionnels. Grâce à mon expérience de théâtre, je me suis autorisé à les laisser improviser, plutôt que de leur faire dire des textes que j’avais écrits pour eux. Par ailleurs, lorsque je suis amené à utiliser, au cinéma, des sources documentaires, j’envisage à présent ce qui est mythologique dans ces mots de tous les jours, ce qui est important, crucial, absolument cinématographique… Le théâtre m’a appris à me pencher pour ramasser un mot, à le hisser par l’art de l’acteur jusqu’à ce qu’il fasse texte.
Qu’est-ce qui est à l’origine de votre envie de mettre en scène Angels in America ?
A.D. : La conjonction de deux événements politiques : l’élection de Donald Trump et la sortie au cinéma de 120 battements par minute, film sur les années Act Up. Ces deux choses ont provoqué en moi une étincelle. J’ai eu envie de raconter cette histoire, de mettre en regard les années Reagan, que traverse la pièce de Kushner, et les années Trump dans lesquelles nous vivons. Il m’a semblé important d’interroger la façon dont on est passé de Gorbatchev à Poutine, de Tchernobyl à Fukushima, du trou dans la couche d’ozone au réchauffement climatique global… L’histoire ne se répète pas, elle trébuche. Mettre aujourd’hui en lumière ce trébuchement est d’une actualité profonde. Je dois également dire que monter une pièce de Shakespeare était l’un de mes rêves de petit garçon. Ce rêve, je ne l’accomplirai jamais, car je n’en ai pas le savoir théâtral. Mais comme Angels in America est rempli de références à Shakespeare, créer cette pièce est pour moi un peu une façon de réaliser ce rêve. J’ajouterais que la Comédie-Française est l’endroit parfait pour mettre en scène ce texte, qui est devenu un classique tout en restant profondément scandaleux.
En quoi vous semble-il scandaleux ?
A.D. : Il est scandaleux, car il est politiquement engagé, incorrect, vivide. Il convoque un théâtre de l’impureté, qui mélange le trivial, le merveilleux, le mythologique, le politique, l’univers des séries télé… Le théâtre de Kushner vient faire vaciller le privilège des amours hétérosexuelles et je trouve ça délicieux !
Comment vous en êtes-vous emparé ?
A.D. : J’ai réalisé beaucoup de coupes, puisque l’une des règles de l’alternance, à la Comédie-Française, est que les spectacles durent moins de trois heures. J’ai travaillé par condensation, ce qui permet de faire ressortir de façon très forte les motifs amoureux qui composent Angels in America. J’ai essayé de respecter au maximum la structure de la pièce, dans un montage assez cinématographique, en essayant d’éclairer l’idée philosophique que porte ce texte : l’idée que nous ne sommes tous qu’une collection de singularités, que nous pouvons donc joyeusement abandonner la notion d’universel pour embrasser nos particularités. Donner corps à cette vision revient à essayer de représenter, sur scène, le monde entier. D’une certaine façon, dans Angels in America, Tony Kushner établit une compétition entre le théâtre et le cinéma. Il parvient ainsi à nous montrer que ce n’est pas le cinéma qui peut tout représenter, mais bien, comme il l’écrit lui-même, le « merveilleux THÉATRAL».
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat
En alternance. Matinées à 14h, soirées à 20h30. Tél. : 01 44 58 15 15. www.comedie-francaise.fr
Et si l'on regardait un peu du côté de la [...]