Pascale Daniel-Lacombe reprend « Dan Då Dan Dog » de l’auteur suédois Rasmus Lindberg
Créée à Poitiers en janvier 2023 dans le [...]
Après House l’an dernier, Amos Gitai revient au Théâtre de La Colline avec une pièce mémorable, qui allie de manière poignante puissance sensorielle et vigueur du verbe. Avec des interprètes remarquables, il revisite le mythe juif du golem pour éclairer ce que fut et ce qu’est l’antisémitisme. La partition bouleversante reconnaît l’étendue du mal et appelle à résister à toute forme de racisme.
Sublime fresque théâtrale et musicale qui traverse les temps et les langues, la création d’Amos Gitaï s’élève contre le poison de la haine et du mépris, célèbre par le théâtre, par le mythe du golem revisité avec une poésie poignante, la nécessité de la résistance, de la reconnaissance de la souffrance. La scène exprime puissamment la valeur d’un art au présent nourri du chantier infini de l’Histoire. Après House, présenté la saison dernière au Théâtre de la Colline, adaptation d’une trilogie documentaire autour d’une maison à Jérusalem Ouest, le metteur en scène, cinéaste et architecte de formation, se fait ici explorateur et interprète d’un mythe juif dont la première version remonte au IIIe siècle. Le golem désigne une figure artificielle née d’argile, de « la poussière d’une montagne », créée afin de protéger la communauté juive des persécutions, liée en particulier au célèbre rabbin Leib à Prague au XVIe siècle. C’est le langage, par une combinaison kabbalistique de mots et lettres, qui rend vivant cet être conçu pour assister l’humain. Auscultant la relation entre l’être humain et la figure qu’il a créée, exprimant la vulnérabilité de la minorité juive opprimée et massacrée, la pièce construit un édifice où s’agencent parfaitement la parole, la vidéo, la musique interprétée et chantée en direct. La matérialité de la scène est habitée par de multiples fragments d’histoires, par une infinité de variations où planent l’ombre de la mort, mais aussi la possibilité créatrice d’une vie qui serait à l’abri. Pourquoi dans les maisons juives surgit la panique, depuis des millénaires ?
Un golem qui protège…
De nombreux moments sont impressionnants, emplis de sens et d’émotion. Un extrait de Tsili d’Amos Gitai d’après le roman du regretté Aharon Appelfeld montre les visages souriants et joyeux d’enfants juifs, promis à une mort prochaine. Des vêtements tombent des cintres et s’écrasent au sol, vestiges nus de millions de vies disparues. Vestiges aussi, des pans de murs abîmés, une table, un lit… qui sont suspendus et parfois rejoignent la scène. Sur un mode finement burlesque, la pièce évoque les simulacres de procès à Prague de juifs accusés d’assassiner les enfants chrétiens afin d’utiliser leur sang pour fabriquer du pain azyme, avec les excellents Micha Lescot en juge et Laurent Naouri (le chanteur !) en rabbin désigné coupable. Avec acuité, le spectacle met en lumière la rage meurtrière des pogromistes qui terrifient et assassinent les juifs. Les comédiens, dont beaucoup se connaissent de longue date, sont tous remarquables : Irène Jacob, Micha Lescot, Menashe Noy, Bahira Ablassi, Minas Qarawany, Laurent Naouri. De même que les musiciens Kyoomars Musayyebi, Alexey Kochetkov, Florian Pichlbauer et Sophie Leleu. Interprété en français, yiddish, allemand, anglais, arabe, espagnol, hébreu, ladino, russe, le spectacle embrasse ces langues et identités plurielles. Inévitablement, cette partition bouleversante rappelle les massacres du 7 octobre 2023 dans le sud d’Israël, où des familles entières furent brûlées vives, violées, mutilées par des milliers d’assassins ; beaucoup de victimes étaient des militants de la paix, tenaces, généreux, combatifs. À la fin de la pièce chaque interprète dévoile des pans de sa biographie. « Golem, ça veut dire quoi ? C’est une métaphore. Une métaphore sur les vagues de racisme, d’antisémitisme et le besoin d’un sauveur, le golem. » dit Micha. Le texte s’appuie sur les écrits de Léon Poliakov (Histoire de l’antisémitisme), Joseph Roth (Juifs en errance), Lamed Shapiro (Le Baiser, La Croix), de l’immense écrivain en yiddish Isaac Bashevis Singer, Prix Nobel en 1978, auteur du conte pour enfants Le Golem. « Je dédie cette histoire aux persécutés, aux opprimés partout dans le monde (…) dans l’espoir fou que le temps des accusations injustes et des décrets iniques viendra un jour à sa fin. » écrit le romancier.
Un pas dans les rues de Paris
Faisons un pas de côté. Le 8 mars 2025 a lieu la traditionnelle manifestation pour défendre les droits des femmes : on aime en général beaucoup célébrer notre sororité, applaudir l’expression multiple des revendications. Le collectif Nous Vivrons, créé au lendemain des massacres du 7 octobre 2023 pour lutter contre l’antisémitisme, farouchement opposé aux propagateurs de haine de tous bords, tant à l’extrême droite qu’à l’extrême gauche, a rassemblé environ un millier de personnes. Mais toutes et tous sont restés parqués pendant trois heures, bloqués par des militants pro-palestiniens menaçants (surtout des hommes), avant de pouvoir enfin marcher sur une place quasi déserte, encadrés par des policiers. « Solidarité avec les femmes du monde entier » clame le collectif, qui dénonce les centaines de viols et mutilations perpétrés le 7 octobre 2023 sur le corps des femmes juives, le viol à Courbevoie en juin 2024 d’une jeune adolescente de 12 ans parce que juive. Une petite fille se saisit du mégaphone, ne reste heureusement que quelques minutes. C’est dangereux. Cerné par des doigts d’honneur, physiquement attaqué par des hommes cagoulés (défenseurs des femmes ?), le cortège, qui inclut aussi le collectif Femme Azadi qui défend les femmes iraniennes férocement opprimées par les mollahs (« Femme, vie, liberté ! »), doit être dissous, à quelques mètres de la Place de la République. Nous toutes ? Sauf les juives. Chaque homme, chaque femme, nous tous et nous toutes, pouvons-nous nous faire démiurge, comme le très beau et très émouvant spectacle y invite ? Pour une humanité commune rejetant le fanatisme, le choix du meurtre, acceptant l’autre, l’étranger, le juif.
Agnès Santi
Du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30. Relâche le lundi et le dimanche 9 mars. Durée : 2h15. Tél. : 01 44 62 52 52. www.colline.fr
Créée à Poitiers en janvier 2023 dans le [...]
Créée en 2018, la pièce écrite et mise en [...]
Heureuse perspective ! Christian Schiaretti [...]