Dans la solitude des champs de coton : comme déplacée et éclairée d’un jour nouveau dans la mise en scène de Kristian Frédric
Le metteur en scène Kristian Frédric projette [...]
Après En attendant Godot créé à La Scala, Alain Françon poursuit son exploration beckettienne avec Premier amour. Il confie l’interprétation de ce texte de jeunesse à Dominique Valadié qui s’en fait la passeuse un peu trop ambiguë, entre proximité et détachement.
En montant Premier amour juste après En attendant Godot, Alain Françon invite à regarder ce qui unit et ce qui distingue ces deux textes de Samuel Beckett. Créés tous les deux à La Scala Paris, où jusqu’au 8 avril il est possible de les voir le même soir, les spectacles s’interrogent l’un l’autre. En se penchant sur un texte de jeunesse après avoir monté l’une des pièces les plus célèbres de l’auteur irlandais, Alain Françon questionne notamment ce que la source laisse de traces par la suite. Ce faisant, il va aussi chercher du côté de l’intime pour comprendre l’œuvre : à l’origine, Premier amour n’est pas une pièce de théâtre mais une nouvelle en partie autobiographique. En offrant à Dominique Valadié le rôle d’un jeune homme rencontrant une jeune femme sur un banc, Alain Françon met toutefois d’emblée à distance le premier aspect. Interprété par une femme, le narrateur du texte, dont le rapport avec le sexe opposé est de plus l’une des causes de son grand malaise, ce Premier amour met au premier plan la crise de l’identité qui habite le monologue. La comédienne ne semble pourtant pas se délester entièrement du poids de l’incarnation. Toute vêtue de noir devant des vêtements en couleur et un chapeau melon posés au sol tels ceux d’un fantôme allongé, un demi-sourire quasi-permanent aux lèvres, elle semble suspendue à mi-chemin entre un désir de théâtre naturaliste et tout autre chose, beaucoup plus abstrait.
Une parole en exil
Les deux prompteurs que l’on ne peut manquer dans la petite salle de La Scala contribuent à l’étrangeté de la proposition qui, hélas, ne semble pas être entièrement le fruit d’un parti-pris de l’auteur et de son actrice. La voir regarder les écrans, découvrir son texte en même temps que le spectateur, aurait sans doute pu donner à la pièce une certaine qualité de présent, voire même une dimension ludique. Mais Dominique Valadié ne fait pas de sa relation au prompteur un élément de jeu. Ce rapport au texte ne fait que participer à un certain écart qui peine à faire sens. Peut-être cependant permet-il à l’actrice d’obtenir le trébuchement, l’hésitation du phrasé qui traduit assez bien les enjeux de langage qui sont ceux de Beckett au moment de l’écriture, en 1946. Cette date est d’ailleurs prononcée par la comédienne en toute fin de partie, comme pour rappeler à la fois que la guerre pèse sur ce texte où se déploie une conception tout sauf romantique et optimiste de l’amour, et qu’il s’agit d’une œuvre de jeunesse, l’une des premières écrites par l’auteur en français. Si Dominique Valadié donne à entendre la singularité de cette langue qui se cherche, qui se regarde avancer en se demandant à chaque pas si elle ne va pas s’effondrer, elle ne va pas jusqu’à en faire revivre au plateau l’audace, la déflagration. En disant avec sa distance ambigüe la cruauté de son personnage, son incapacité à aimer – « ce que l’on appelle l’amour c’est l’exil, avec de temps en temps une carte postale du pays », dit-il –, l’actrice a tendance à aplanir l’aventure, les risques pris par Beckett avec les mots.
Anaïs Heluin
du mardi au samedi à 19h30 ou 21h30 et le dimanche à 14h30. Tel : 01 40 03 44 30. https://lascala-paris.fr
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