Le Chien – Les Contes du chat perché de Raphaëlle Saudinos et Véronique Vella : un spectacle absolument jubilatoire
Après Le Loup et Le Cerf et le Chien, [...]
Cruelle, caustique et cocasse, la partition conçue par Flavien Bellec et Etienne Blanc, interprétée par le même Flavien et par Solal Forte, est un régal. Une demande de conseil par un metteur en scène désemparé se mue en lynchage, au fil d’une cinglante mise en abyme qui interroge le théâtre et ses formes.
Leur première pièce, Flavien, one-man-show experimental (2019), ne correspondait guère à l’exercice et proposait plutôt « une lutte étrange entre Flavien et sa propre représentation ».Poil de Carotte, Poil de Carotte (la répétition d’emblée pose question…) poursuit dans cette veine résolument anti-spectaculaire qui interroge plus qu’elle ne représente, et qui interroge… la représentation : qu’est-ce que le théâtre ? Quelles finalités ? Et surtout quelles formes créer ? Ces questions structurent la trame narrative, mais ici aucun débat théorique ou discours sur la méthode, ce qui est en jeu, c’est une conversation pas banale entre deux amis qui se retrouvent après cinq ans sans se voir, deux acteurs qui jouent à l’acteur, et au metteur en scène. Une confrontation en forme de mise en abyme qui commence par une demande de conseil et finit en lynchage, qui se fait aussi cinglant commentaire sur le mode ironique. Entre Solal, qui peine à avancer sur son désir de mettre en scène Poil de Carotte, articulé au Journal intime empreint d’amertume, d’un sentiment d’imposture et de doute de Jules Renard, et Flavien, qui à l’inverse évoque divers projets artistiques tous plus passionnants les uns que les autres et connaît donc, semble-t-il, un succès international, la conversation prend de drôles de tournures, tranchantes, cruelles, humiliantes, sans éclat de voix mais avec un naturel confondant.
Une confrontation acide et hilarante
La partition impeccablement tenue et maîtrisée (même si elle pourrait çà et là être un peu resserrée) entrelace l’humour et la cruauté, au fil d’une constante ironie qui dézingue les attentes et les habitudes, qui se délecte de sa perversité. Le spectateur qui ne connaît rien aux codes du milieu du théâtre percevra-t-il toute la portée de cette ironie ? Parions que oui, et parions même sur une dimension instructive de cette interaction, où émergent toutes sortes d’enjeux, des plus anecdotiques aux plus essentiels. Dont par exemple le jugement porté et ses critères qui adoubent ou ringardisent ; le poids des normes et la méchanceté comme norme ; l’air du temps et ses incontournables ; l’art comme quête à définir… Et Poil de Carotte dans tout ça, qu’est devenu l’enfant roux si mal aimé ? Sa marionnette qui prend vie à la fin de la pièce serait-elle vouée à être elle aussi cruellement assassinée ? Conçu par Flavien Bellec et Etienne Blanc, interprété par le même Flavien et par Solal Forte dans un espace épuré, le spectacle est un régal.
Agnès Santi
à 20h30, relâche dimanche et lundi. Tél : 01 56 08 33 88. Spectacle vu lors du bouillonnant festival WET à Tours.
Après Le Loup et Le Cerf et le Chien, [...]