Christian Benedetti met en scène trois jeunes interprètes qui reprennent le flambeau de « Stop the tempo » de Gianina Carbunariu
Avec le tout nouveau collectif L’ours de la [...]
Après avoir mis en scène avec succès La Seconde Surprise de l’amour* (2021), le maître Alain Françon revient à Marivaux avec l’une de ses pièces phares. Une partition vive et précise, remarquablement maîtrisée et interprétée, qui consacre le triomphe de l’amour autant que celui du théâtre.
Un théâtre comme de la dentelle, précisément et finement ouvragée, comme une partition concertante qui va crescendo jusqu’à l’acceptation des sentiments, jusqu’à la connaissance de soi qui advient une fois que les mots enfin s’accordent à la vérité des cœurs – comédie oblige. Ici pas de travestissements qui inversent pour un temps l’ordre social comme dans Le Jeu de l’amour et du hasard, pas de réticences qui masquent et troublent la musique des cœurs comme dans La Seconde Surprise de l’amour, mais en premier lieu un coup de foudre, qui installe aux manettes un grand orchestrateur, le valet Dubois, pleinement confiant dans son infaillible talent de manipulateur. Dorante est « timbré » d’amour depuis qu’il a vu Araminte descendre les marches de l’opéra, mais sa bonne mine a beau être « un Pérou », que peut espérer le jeune avocat sans le sou face à la séduisante, riche et raisonnable veuve ? « Fierté, raison et richesse, il faudra que tout se rende. Quand l’amour parle, il est le maître, et il parlera. » nous annonce Dubois. Le metteur en scène déploie l’intrigue dans un espace-temps indéterminé qui révèle l’éternelle actualité de ce qui se trame. Sans tapage ni emphase, sans portes qui claquent, avec un souci du détail, une exactitude et un humour qui font mouche, le cheminement des personnages semé d’obstacles donne chair au chamboulement des êtres autant que des normes et hiérarchies sociales. À l’instar d’Araminte si joliment perdue en elle-même, qui touche et émeut infiniment dans son chaos intérieur, on ne sait plus où on est, on ne sait plus qui on est… Dans un décor épuré voire quasi abstrait qui mêle les styles et les époques et laisse advenir l’essentiel, signé Jacques Gabel, dans des costumes élégants et disparates de Pétronille Salomé, sous le feu de lumières elles aussi étonnantes et contrastées de Joël Hourbeigt et Thomas Marchalot, le territoire savamment exploré est celui de la langue, dans sa présence agissante, dans ses effets multiples constellés d’éclats, de piques, d’imprévu et de verve comique.
Un ensemble parfaitement accordé
Au sein des dialogues se glissent des apartés adressés au public, dans une jubilation du jeu qui enchante le public. « ll est hors de propos d’imiter quelque chose qui serait le visible, non, au contraire ce qui importe c’est de rendre visible, et dans l’instant. » dit Alain Françon. C’est une chose de le dire, c’en est une autre de réussir à le faire sur le plateau, où de merveilleux comédiens, déjà là pour certains dans La Seconde Surprise de l’amour, forment un ensemble accordé en tous points. D’une assurance tranquille, Gilles Privat est absolument parfait dans le rôle de Dubois. Georgia Scalliett incarne Araminte avec une finesse et une profondeur qui impressionnent. De même, Pierre-François Garel dans le rôle de l’honnête et somme toute craintif Dorante est impeccable – à lui le désir, à Dubois l’action. Dominique Valadié, dans le rôle de Madame Argante qui ne souhaite qu’une chose, s’élever grâce au mariage de sa fille avec le Comte Dorimont, est irrésistiblement drôle, tout entière corsetée dans ses insensibles certitudes. Yasmina Remil impressionne elle aussi dans le rôle de Marton, très touchante, qui traverse une foule d’épreuves. Guillaume Lévêque incarne Monsieur Rémy, procureur et oncle de Dorante, d’une voix qui gronde et réjouit. Séraphin Rousseau (Lubin), Alexandre Ruby (le Comte), Maxime Terlin (un garçon joaillier) sont également épatants. Au-delà du contexte de son écriture, cette mise en scène consacre à chaque instant le triomphe du théâtre autant que celui de l’amour.
Agnès Santi
du mardi au vendredi à 20h, samedi à 18h, dimanche à 15h. Tél. : 01 46 14 70 00. Durée : 1h45.
Les Célestins – Théâtre de Lyon, place des Célestins, 69002 Lyon. Du 6 au 17 novembre 2024, du mardi au samedi à 20h sauf le jeudi à 19h, dimanche à 16h. Tél. : 04 72 77 40 00.
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