La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre

AGATHA

AGATHA - Critique sortie Théâtre Paris
Pauline Deshons, incandescente dans Agatha. Crédit : DR

Théâtre de l’Épée de Bois / de Marguerite Duras / mes Bertrand Marcos

Publié le 2 mai 2018 - N° 265

Avec pudeur et émotion, Bertrand Marcos met en scène le dialogue douloureux et solaire d’un frère et d’une sœur qui s’aiment au-delà des frontières du permis. Belles vibrations durassiennes…

Ils s’aiment « comme il n’est pas possible d’aimer » ; ils le savent ; ils n’ignorent pas le risque de l’opprobre, mais l’horreur de leur séparation est encore plus douloureuse que l’interdit qui les enserre. Ils sont revenus de l’exil imposé par le mariage, et Agatha pose à cour ses escarpins d’adulte pour retrouver le contact du doux plancher de l’enfance, sur lequel était tombée sa robe, l’après-midi suave où l’amour a gagné. Il n’y a plus rien sur scène que l’enfance, le temps suspendu de l’été, l’immuabilité des fleuves, Agatha et l’amour d’Agatha. « Jamais la fin d’été n’avait paru si belle. (…) Quel joli temps pour se dire au revoir. », chante Barbara à la fin du spectacle, après ces adieux crépusculaires qu’interprètent Pauline Deshons et Teddy Bogaert. Elle part ; lui reste, en promettant de tenter malgré tout de la revoir. Leur amour est minéral : dur, brillant et inaltérable. Il faut néanmoins qu’ils s’éloignent. « Je pars pour aimer toujours dans cette douleur adorable de ne jamais te tenir, de ne jamais pouvoir faire que cet amour nous laisse pour morts. », dit Agatha.

Rendre audible ce qui n’est que sensible

Le sacré est l’innommable, ce qui ne supporte pas que le langage vienne le recouvrir de la souillure de ses approximations. Tel est l’amour d’Agatha et tel est le miracle de la langue de Duras, qui parvient à dire sans violer, à exprimer sans retenir ni restreindre, à donner force et place au déploiement des mots. Il faut la part maudite du langage pour tenter l’expression de l’interdit et de l’infiniment fragile et fébrile de l’amour. Duras connaît cette autre face du discours, la plus intime, la plus simple souvent, celle qui peut le mieux dire ce qui jamais ne se dit. C’est « cette langue incontestablement singulière qu’il faut donner à entendre », dit le metteur en scène, Bertrand Marcos. Pauline Deshons y parvient avec une maestria bouleversante. Tendue, sensuelle, tendre et enfantine, puis hautaine et exaltée, elle joue la palette d’Agatha avec force et passion. Elle est, tour à tour, dans l’innocence et l’exaltation, l’enfant boudeuse au piano, l’adolescente ignorant sa propre beauté, la femme des autres et l’amante interdite. Teddy Bogaert peine davantage à relever la gageure que suggère la direction vocale subtile de Bertrand Marcos. Il donne parfois l’impression de dire du Duras, se complaisant dans certaines inflexions appuyées par lesquelles on caricature souvent les partitions subtiles de cet auteur. Reste que, au milieu du décor en bois du théâtre de l’Epée de Bois, apparaissent les méandres du fleuve, la longue maison sur la rive, la mer si proche, Brahms résonnant à l’étage, les mains si petites d’Agatha sur les touches, le soleil sur les corps et l’amour qui se répand dans toute la candeur et l’évidence du premier et du dernier matin.

Catherine Robert

A propos de l'événement

Agatha
du lundi 30 avril 2018 au jeudi 17 mai 2018


Du lundi au samedi à 20h30 ; le samedi à 16h. Tél. : 01 48 08 39 74.

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