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Théâtre - Critique

Émilie Rousset présente « Affaires familiales » : une parole foisonnante, une théâtralité minimaliste

Émilie Rousset présente « Affaires familiales » : une parole foisonnante, une théâtralité minimaliste - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de la Bastille
Affaires familiales, dans la mise en scène d’Émilie Rousset. © Christophe Raynaud de Lage

Théâtre de la Bastille / Conception, écriture et mise en scène d’Émilie Rousset

Publié le 27 août 2025 - N° 335

Après Reconstitution, le Procès de Bobigny, Émilie Rousset crée à nouveau une partition relevant d’un théâtre fondé sur un travail documentaire, dans un cadre judiciaire. Une parole qui instruit, au sein d’une théâtralité minimaliste, sans aspérité.

Après le saisissant Reconstitution, le Procès de Bobigny (2021), qui mettait en perspective un événement majeur dans l’avancée du droit des femmes, Affaires familiales fabrique à nouveau une écriture du montage, qui agrège divers récits de vie devenus par la force des choses des dossiers judicaires, traités dans le cadre du droit de la famille. Si le théâtre d’Émilie Rousset se fonde sur l’archive et l’enquête, il invite aussi, en toute sobriété, à prendre position au présent, à ouvrir le débat dans ses dimensions éthiques, juridiques et philosophiques. S’appuyant sur un corpus qui laisse voir les douleurs et les impuissances, les affaires familiales se succèdent, parfois résonnent entre elles. Les paroles sont portées par de très bons interprètes – Saadia Bentaïeb, Antonia Buresi, Teresa Coutinho, Ruggero Franceschini, Emmanuelle Lafon, Núria Lloansi, Manuel Vallade. Né de rencontres avec des avocats et des justiciables dans divers pays d’Europe, le spectacle éclaire ainsi à l’échelle internationale certains aspects concernant la parentalité au sein des familles LGBT, la GPA, l’enlèvement d’enfants par leur père et leur fuite à l’étranger, l’inceste (scandale de l’enfant placé en garde partagée auprès de son père et agresseur !), le devoir conjugal, élément du droit ancien porté devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme…

Entre la vie qui déborde et le droit qui délimite

L’espace est bi-frontal, avec un lé blanc qui le traverse (le dispositif est signé par Nadia Lauro), déroulé en un joli geste en début de représentation, comme pour mettre en place un pont entre l’archive et la scène, entre l’intime et le juridique, qui génère des approches et des langages si différents. Il est ardu de passer du document au théâtre. Comment exprimer les infinies tensions qui se nouent entre la vie, toujours inattendue, et la loi si précise ? Comment traduire les frottements entre militantisme et droit ? Les dissensions entre le juge et l’avocat ? Une avocate tranche : « Les juges ne prennent jamais de risque. Ils sont les gardiens de l’existant. » Par moments, des extraits vidéo montrent les vraies personnes interrogées, dont les interprètes reproduisent les paroles et les gestes. Un effet miroir comme un hommage à ces fortes personnalités, dont l’utilité dramaturgique se discute. Plus que la manière dont le spectacle s’empare des éléments d’archive, c’est ici l’abondance de récits qui agence le sens, ce sont les mots qui importent, dans un théâtre sobre qui, sans échapper à des longueurs, se décale du réel tout en l’exposant.

Agnès Santi

A propos de l'événement

« Affaires familiales »
du vendredi 19 septembre 2025 au vendredi 3 octobre 2025
Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette, 75011 Paris

à 19h30 sauf les samedis à 17h, relâche le 24 septembre et le dimanche. Tél : 01 43 57 42 14. Durée : 2h30. Spectacle vu au Festival d’Avignon 2025.

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