La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

ADN, mis en scène par Marie Mahé, ou les affres sombres du collectif

ADN, mis en scène par Marie Mahé, ou les affres sombres du collectif - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de la Tempête
ema_martins / Maxime Boutéraon et Léa Luce Busato

théâtre de la tempête / d'après Dennis Kelly / mise en scène Marie Mahé

Publié le 4 mars 2023 - N° 308

Marie Mahé met en scène le texte ADN de Dennis Kelly. Un thriller sociologique sur fond de bêtise adolescente, qui dévoile les mécanismes du groupe, du collectif, dans ses affres les plus sombres. La performance très convaincante emporte le public dans le drame, qui met en lumière ce qu’il est difficile d’assumer : quand le groupe influence nos choix personnels… 

C’est un soir de première bouillonnant. Le public s’installe au son de Reuf de Nekfeu et Tout l’monde s’en fout de Sofiane (il faut écouter les paroles pour comprendre, si si !). John (Achille Reggiani ce soir, en alternance avec Tigran Makhitarian) est installé en jogging sur un banc : image parlante du jeune qui traîne. Le plateau est éclairé d’un rouge vif, révélant dès que la lumière blanchit qu’il a du sang sur les mains. Ils en ont tous. Tout commence, tremble et s’emballe : non, on n’est pas « dans la merde ». Le mot « mort » ? Banni. « T’es avec nous, ou t’es pas avec nous ? » hurle John à Léa (Léa Luce Busato) et Cathy (Marie Mahé). Pour se sortir de là, Cathy raconte à Phil (Maxime Boutéraon) leur ami/sauveur de la situation : comment ils ont fait bouffer des feuilles à Adam, pour rigoler, comment ils l’ont frappé au visage, pour rigoler, comment ils lui ont brulé le corps à la cigarette, pour rigoler, et comment il est tombé dans le puit en recevant une pierre dans la tête, lancée pour rigoler. La tirade, glaçante, met les mots sans le dire sur le fléau de nos écoles, celui qu’on entendait peu avant, qu’on feigne de découvrir aujourd’hui : le harcèlement. C’est le premier sujet de la pièce, rapidement évacué par l’intrigue mais qui a le mérite d’être ici traité avec considération. Le cadre désormais posé, le texte se met alors du côté « d’eux », quatre amis (forcés de l’être) piégés dans leur acte et surtout, dans le mensonge cousu de fil blanc qu’ils inventent pour se couvrir. 

« Tu crois qu’on est condamnés à se comporter comme les gens avant nous se sont comportés ? »

L’intrigue fait passer les bourreaux du côté des victimes : le désordre, les doutes, les disputes surgissent dans une atmosphère de panique générale où il devient crucial de s’assurer que l’on n’est pas seul dans cette histoire, public y compris. Ça rassure, de pouvoir se dédouaner ensemble. On envoie l’une à la police, on écoute l’autre donner les ordres pour ne pas être responsable. On frôle l’hypocrisie, la dénonciation, mais le groupe est soudé. Les phrases ne se terminent pas mais sont comprises de tous, héritage de l’écriture ciselée de Dennis Kelly, que Marie Mahé tenait avec raison à conserver. Léa Luce Busato, dont le personnage est intégré malgré lui dans la spirale, est saisissante dans sa façon de s’emparer de la panique autant que  la lucidité, de sombrer proche de la folie, toujours en s’accrochant à la morale qui a ici, comme Adam, disparu. Le fil directeur qu’elle tisse jusqu’à la délivrance de tous est solide, crédible, alors que le thriller qui se déroule s’en éloigne parfois, ouvrant sur des considérations bien plus larges mais non moins pertinentes telle que l’empathie des singes. En fond de plateau, La Création d’Adam surveille et se teinte de rouge, comme un rappel (divin ?) vers le droit chemin. De leader à suiveur, les rôles dans le groupe ne cessent de s’inverser jusqu’à l’impensable : contredire les choix collectifs, refuser les règles du groupe, position qui implique d’assumer, de se révéler. Au rythme des musiques commerciales que Marie Mahé intègre à sa mise en scène (et ça fonctionne, étonnamment Dance Monkey de Tones and I n’a jamais eu tant de sens), le texte adapté découvre les mécanismes innés de la vie collective qui, même s’ils ne sont pas toujours confrontés au drame, s’activent en chaque groupe. La mise en scène poignante met en avant cinq acteurs dont l’union, ici véritable et saine, fait état d’une réjouissante vie collective et théâtrale. 

Louise Chevillard 

A propos de l'événement

ADN
du jeudi 2 mars 2023 au samedi 18 mars 2023
Théâtre de la Tempête
route du Champ de Manoeuvre, 75012 Paris

à 20h30, le dimanche à 16h30. Tel : 01 43 28 36 36. Durée : 1h15. 

Au Théâtre Lepic les 21 et 22 mars. 

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