La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Orchestre Titanic

Orchestre Titanic - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de l’Aquarium

Théâtre de l’Aquarium / de Hristo Boytchev / mes Philippe Lanton

Publié le 28 décembre 2016 - N° 250

Philippe Lanton met en scène cette comédie burlesque et philosophique signée par le dramaturge bulgare Hristo Boytchev. Une fable onirique qui questionne la faillite de l’Europe politique.

Avec cette création, vous poursuivez votre exploration des écritures balkaniques…

Philippe Lanton : En effet. Depuis 2009, le travail de notre compagnie s’est concentré sur les écritures balkaniques, à travers des mises en espace, ateliers, stages, rencontres et créations – Le Professionnel de Dusan Kovacevic, Rose is a rose is a rose is a rose… d’Ivan Sajko, et Désolation de Dimitris Dimitriadis. Ces écritures mettent en jeu un rapport à l’ensemble de la société, à l’histoire en train de se faire, elles plongent dans les vestiges et les strates du passé traversé par Byzance, Constantinople, les Romains, les Ottomans, les Habsbourg, les guerres balkaniques de 1912 et 1913… Leur façon de se confronter au réel est passionnante. Pourtant, ces écritures suscitent peu de curiosité en France, alors que l’Allemagne y est très attentive. Hristo Boytchev, l’un des dramaturges bulgares les plus célèbres, est cependant connu en France grâce à la mise en scène par Didier Bezace du Colonel-Oiseau, présentée en 1999 au Festival d’Avignon et à Aubervilliers. Orchestre Titanic a été joué avec succès dans une vingtaine de pays dans le monde. La pièce a connu deux versions : cette seconde version resserrée, en ellipses, raconte moins mais creuse davantage le vertige et l’abîme, dans une simplicité d’écriture qui pour moi fait sa force.

« C’est En attendant Godot mixé avec les Marx Brothers ! »

Quel est votre regard sur cette fable ?

P. L. : J’aime la vitalité très balkanique de cette comédie burlesque et philosophique : ce sourire-là m’intéresse. Orchestre Titanic, c’est En attendant Godot mixé avec les Marx Brothers ! Cette écriture déploie quelque chose de brut, de décalé, d’absurde, sans délivrer aucun message, sans culpabilisation ni morale. Il y a plutôt un chemin, un processus à l’œuvre, autour d’une petite communauté humaine qui a besoin d’espoir pour tenir. Dans une gare désaffectée, quatre laissés pour compte alcoolisés – Méto, un ex-musicien, Lubka, sa copine, Doko, un ex-montreur d’ours, et Louko, un ex-cheminot – attendent qu’un train s’arrête et les emmène. Mais les trains passent et ne s’arrêtent pas. Un jour surgit Hari Houdini, sorte d’avatar de Godot, grand illusionniste qui les coache au fil de scènes très drôles.

Quel sens donner à leur attente ?

P. L. : Cette attente profonde concerne ce qui nous fonde en tant qu’être humain. Qu’attend-on politiquement, socialement, intimement ? Nous avons tous besoin de nous projeter, même si, une fois réalisé, le rêve parfois déçoit. Comment ne pas penser aux migrants face à ces êtres démunis ? La pièce a été écrite dans le contexte de la demande d’adhésion de la Bulgarie à l’Union Européenne, demande qui se concrétisera finalement en 2007. Comme ces trains fantomatiques, l’Europe du marché ne s’arrête pas en Bulgarie ! Après la Chute du Mur de Berlin, Heiner Müller remarquait que les murs invisibles subsistaient. Visionnaire, il soulignait aussi que, une fois les relations Est-Ouest apaisées, les rapports Nord-Sud seraient très conflictuels. Aujourd’hui, l’Europe politique est en panne. Entre abstrait et concret, entre rêve et illusion, la pièce prend ses distances avec le réel, et elle offre matière à rire et à penser.

Propos recueillis par Agnès Santi

 

A propos de l'événement

Orchestre Titanic
du mardi 10 janvier 2017 au dimanche 5 février 2017
Théâtre de l’Aquarium
Route du Champ de Manoeuvre, 75012 Paris, France

du mardi au samedi à 20h, dimanche à 16h, relâche le 24 janvier. Tél : 01 43 74 99 61. Texte publié aux Editions L’Espace d’un instant. Durée : 1h15. Le 14 janvier après la représentation, Migration : L’Europe en questions, rencontre avec Pierre Henry, directeur de France terre d’asile, Damien Carême, maire de Grande-Synthe, etc. Le 21 janvier, Les écritures balkaniques, avec l’auteur, le metteur en scène, etc.

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