La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Nos serments

Nos serments - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre national de la Colline.
Nos serments, entomologie du désengagement. Elisabeth Carrechio

La Colline / de Guy-Patrick Sainderichin et Julie Duclos / mes Julie Duclos

Publié le 29 janvier 2015 - N° 229

Guy-Patrick Sainderichin et Julie Duclos inventent la Carte du Tendre de la petite bourgeoisie contemporaine, aussi théâtralement réussie qu’existentiellement débilitante et politiquement désespérante.

Librement adapté de La Maman et la putain, de Jean Eustache, film à partir duquel Julie Duclos a travaillé au Conservatoire avec son professeur, Philippe Garrel, Nos serments se présente comme une immersion dans le vaste marais sentimentalo-nauséeux des trentenaires actuels. « La bourgeoisie a déchiré le voile de sentimentalité qui recouvrait les relations de famille et les a réduites à n’être que de simples rapports d’argent », disait Marx dans Le Manifeste du Parti communiste : meilleur résumé qui puisse être du marasme axiologique de ces jeunes gens, calculant leurs investissements au moindre coût, et capables d’ergoter des soirées entières pour déterminer ce qu’il en est du prix de leurs engagements, de ce qu’ils leur rapportent et de ce qu’ils leur font perdre. Lorsque Binet croque les Bidochon, la formule est laconique et drôle : « Mon rien faire ne t’oblige pas à faire quelque chose », dit Robert à Raymonde. Mais lorsque François évoque le même sujet avec Mathilde, la longueur répétitive se croit profonde et l’égotisme masturbatoire tourne à la vacuité désolante. Lorsque la téléréalité installe des prolos en mal de célébrité dans les bocaux de son entomologie sordide, le bobo s’esclaffe, mais quand lui-même s’installe dans l’aquarium, il se prend pour un poisson exotique. Las ! Même spectacle, même vanité.

Spectacle de la société et société du spectacle

Force est d’applaudir la parfaite maîtrise théâtrale des réalisateurs de ce reality show pour les nouveaux petits enfants du siècle, moins poétiques que Musset, moins politiques que Christiane Rochefort : Guy-Patrick Sainderichin et Julie Duclos rendent au mieux les atermoiements de leurs contemporains. L’art du tuilage entre images (très beau travail d’insert d’Emilie Noblet) et jeu (remarquable vérité de l’interprétation qui culmine dans la deuxième partie du spectacle avec le dialogue entre Yohan Lopez et Alix Riemer) est remarquablement maîtrisé. La scénographie, les lumières, le son, la mise en scène : tout est travaillé avec précision, tout est réalisé avec un indéniable talent. On s’y croirait ! Et si le monde se limitait au minuscule territoire géographique et mental d’une génération qui s’affirme dans le cynisme et l’autosatisfaction centripète, qui est revenue de tout sans être jamais allée bien loin (sinon chez sa mère, en province), on pourrait même le trouver sympathique. Mais la critique ne point jamais sous ce qui se donne à voir. A la fin, François est devenu ce qu’il espérait, un écrivain publié. Un artiste de qualité ? On n’en saura jamais rien. Mais une vanité posée sur un rayonnage, c’est établi. François se vend. C’est sans doute là l’essentiel.

Catherine Robert

A propos de l'événement

Nos serments
du jeudi 15 janvier 2015 au samedi 14 février 2015
Théâtre national de la Colline.
15 Rue Malte Brun, 75020 Paris, France

Du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h et le dimanche à 15h30. Tél. : 01 44 62 52 52. Durée 2h50.

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