Transmettre un art de la subversion

Publié le 10 mars 2011

Depuis la Chute du Mur, Frank Castorf, artiste rebelle né en ex-RDA, dirige
la Volksbühne de Berlin sans cesser de se battre contre la société marchande.
Amateur de Marx, Hegel et des Stones, Castorf demeure un chef indépendant de
troupe. Pour un théâtre transgressif des arts, des classes sociales, des âges,
des cultures. On le verra au prochain Festival d’Avignon avec une nouvelle
création Norden, inspirée de Nord de L.-F. Céline.

Quelle est votre expérience d’enseignement du théâtre en tant que metteur en
scène ?

Frank Castorf : Je cherche à être le plus proche possible des artistes
qui ont une capacité de résistance et de rébellion face au monde capitaliste qui
s’étend partout. C’est en quelque sorte un véritable travail de deuil auquel on
s’essaie quand on estime que ce qui est, aujourd’hui, ne doit pas rester en
l’état mais au contraire, changer et se transformer dans l’avenir. Un théâtre
comme le nôtre à l’intérieur de ce cadre posé fait figure de communauté de
solidarité, si ce n?est de cause militante. Je tiens beaucoup à cette idée de
troupe devenue réalité pour des créations artistiques qui sont partagées avec
des compagnons que j’ai trouvés et rassemblés, des jeunes et des aînés
d’opinions variées, qu’ils soient de droite ou bien de gauche. Mais ils restent
tous « humanisés » à travers ce travail de théâtre accompli ensemble sur une
scène. Le travail partagé et commun peut mener à des relations très érotiques
entre tous. C’est la preuve aussi qu’une ouverture est toujours possible
entre des êtres différents et même complètement opposés.

« Le travail de mise en scène et la direction d’acteurs sur un plateau
peuvent représenter un cas spécifique de « travail libre », là précisément où se
vérifie la dimension proprement politique de mon travail. »

Qu?est-ce qui importe avant tout au chef de troupe que vous êtes ?

F. C. : Le travail de mise en scène et la direction d’acteurs sur un
plateau peuvent représenter un cas spécifique de « travail libre », là
précisément où se vérifie la dimension proprement politique de mon travail, une
activité et un engagement joyeux. C’est une vieille idée marxiste ou bien
anarchiste à laquelle je tiens aussi naturellement que fermement. La règle
générale est que lorsque les conditions de création sont favorables, les
créateurs ont tout loisir d’honorer dignement leur mise en scène, un bonheur qui
se voit et s’éprouve à la représentation et dont le spectateur profite
immédiatement à travers la réussite de cette transmission assurée par l’art de
la troupe. Tout est lié dans ces conditions, à l’intérieur d’une troupe composée
de partenaires multiples ? acteurs, scénographes plasticiens, costumiers,
musiciens, techniciens. Tous travaillent dans la création artistique pour
eux-mêmes et pour l’acte théâtral.

Propos recueillis par Véronique Hotte