La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

La formation théâtrale en France

Celui qui est plein d’âme n?a pas besoin d’ailes

Celui qui est plein d’âme n?a pas besoin d’ailes - Critique sortie

Publié le 10 mars 2011

Figure turbulente de la jeune scène hongroise, Árpád Schilling, 33 ans, a
fait irruption dans l’hexagone voici sept ans avec un Baal d’une ferveur
sauvageonne. Radicalement engagés, ses spectacles fascinent et déroutent, avec
leur beauté souillée, cette violence maîtrisée, cet engagement total de
l’acteur, physique, émotionnel. Qu?ils s’emparent du répertoire ou de textes
contemporains, le metteur en scène et sa compagnie Krétakor défendent une
pratique du théâtre comme forme de réflexion partagée sur le monde
d’aujourd’hui.

Que retenez-vous de vos cinq années d’études à l’Ecole supérieure des Arts
dramatiques et cinématographiques de Budapest ?

Gábor Székely, un des fondateurs du Théâtre József Katona de Budapest, fut
mon principal et le plus marquant de mes professeurs. Au centre de sa méthode se
situe l’interprétation du texte écrit, la conclusion de l’intention de
l’écrivain par l’analyse des motivations des caractères, par l’analyse de leurs
pensées prononcées. Je n?ai saisi l’importance de sa méthode qu’au bout de trois
ans, lorsque je me suis confronté à la mise en scène, avec La Mouette de
Tchekhov. Mais, contrairement à Székely qui travaille avec une construction
faite, achevée, j’arrive tout doucement au sens des mots lors des répétitions
continues. Par ailleurs, l’université m’a aussi aidé à nouer des relations
personnelles. J’y ai par exemple rencontré Zsolt Nagy, qui est depuis mon ami et
camarade dans mes vagabondages théâtraux.

Qu?est-ce que la formation de metteur en scène ?

Je me considère toujours en formation? D’abord parce que je réfléchis en
termes de processus, ensuite parce que j’essaie toujours de tirer des
enseignements de mes expériences et surtout de mes erreurs. Mes échecs sont mes
maîtres. Je m’analyse sans cesse et m’efforce de combler les lacunes, pour ne
pas me répéter. Il m’arrive rarement de commettre deux fois la même erreur. Il y
a assez de nouveaux écueils qui me guettent !

« Mes échecs sont mes maîtres. »

Comment concevez-vous la direction d’acteurs ?

Mon objectif vise d’abord à forger une conception commune qui servira de
base. Des années de compagnonnage avec les mêmes comédiens ont nourri une
complicité qui aide à dégager une vision partagée. A force de travailler
ensemble, nous avons moins besoin de débattre et pouvons dès lors consacrer plus
de temps à la création. On ne travaille pas sur des rôles, on travaille sur
nous-mêmes. Mon rôle consiste à créer un contexte de réflexion et à guider les
acteurs pour qu’ils réalisent d’eux-mêmes ce qu’ils vont interpréter.

Quelques comédiens, comme Annamária Láng, n?ont pas suivi de cursus
académique. Quel est le rôle du metteur en scène dans leur formation ?

Un travail acharné compense aisément le manque d’études universitaires.
Annámaria est aujourd’hui une grande actrice reconnue. Les traumatismes causés
par les échecs des examens d’entrée ne cicatrisent en revanche qu’avec le temps.
La maîtrise technique constitue évidemment un soubassement de jeu important, si
l’on aspire à un théâtre moderne. Mais, parfois, un vrai regard nous donne à
réfléchir. Celui qui est plein d’âme n?a pas besoin d’ailes. Chaque acteur
possède sa personnalité qu’il faut préserver et épanouir dans sa singularité.
J’apprécie beaucoup ceux qui aiment réfléchir et non seulement jouer.

Vous donnez des cours dans plusieurs pays. Qu?enseignez-vous et que vous
apportent ces expériences ?

L’an passé, j’ai dispensé un cours à l’Université de Budapest, et un autre au
CNSAD. Je n?ai pas enseigné, je n?ai fait qu’analyser, selon ma vision,
Hamlet
de William Shakespeare, et j’ai demandé à mes étudiants de travailler
à partir de cette analyse. L’approche a pu se révéler fructueuse, grâce au désir
de jouer, à l’humilité, à l’intelligence et au talent des étudiants. De telles
expériences s’intègrent dans mon propre travail, car elles éveillent de nouveaux
points de vue, m’incitent à des recherches, me rafraîchissent, me confrontent,
m’apprennent. Sans ces deux cours, je n?aurais probablement pas créé
hamlet.ws
.

Quel est votre perception de la formation théâtrale en France ?

Elle forme à l’autonomie, exigence indispensable dans le système théâtral
français puisque n?existent que très peu de troupes. Après des années de vie
commune intense durant les études, les comédiens doivent se débrouiller seuls,
enchaîner les castings et acquérir une routine dans l’autogestion. En France,
l’acteur est considéré comme un outil de l’intention de l’auteur et pas comme
co-auteur. L’enseignement satisfait à ce besoin.

Vos mises en scènes se concentrent de plus en plus sur le jeu d’acteur.
Pourquoi ?

Je m’y suis toujours concentré, seulement les acteurs sont devenus de plus en
plus forts. Pourquoi ? Parce que « Tu as beau baigner ton visage en toi-même,
Tu ne peux le laver qu’en autrui 
», comme écrit Attila József.f

 

 

Propos recueillis par Gwénola David, traduits par Ildikó Rádi

 

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