La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Wajdi Mouawad

Wajdi Mouawad - Critique sortie Théâtre
Photo©Fernandez

Publié le 10 juin 2009

Le sang des promesses

Artiste associé de la 63e édition du festival d’Avignon, Wajdi Mouawad signe le texte et la mise en scène d’un quatuor, composé de la trilogie Littoral, Incendies et Forêt, proposée en intégrale dans la cour d’honneur, et de son contrepoint Ciels, création 2009. Une œuvre comme un parcours en quête d’acuité et de vérité sur la question de l’héritage.

Ce festival 2009 est l’occasion pour vous de terminer le quatuor commencé avec Littoral, créé à Montréal en 1997 puis en France à au Festival des Francophonies à Limoges en 1998, poursuivi avec Incendies en 2003, Forêts en 2006, et aujourd’hui avec Ciels. Quel regard portez-vous sur cette partition et son mouvement, réflexion luxuriante autour de la question des origines et des figures familiales ? Pourquoi l’intitulé Le Sang des promesses ?
 
J’ai l’impression d’un long voyage aux côtés d’histoires qui ont fait partie de moi, depuis des années. Chaque histoire est une personne, a un visage. Dans mon esprit, Seuls est un garçon de 11 ans, Forêts une femme de 40 ans, Littoral un chien fou qui barbote dans l’eau…. Sans être une suite narrative, ces histoires abordent, de manière différente et j’ose l’espérer de manière à chaque fois plus complexe et plus précise, la question de l’héritage. Celui dont on hérite et celui que l’on transmet à notre tour. Mais là, il ne s’agit pas d’un héritage conscient, il s’agit de tout ce que l’on nous transmet dans le silence, dans l’ignorance et qui pourtant déchire notre existence et broie notre destin. Il s’agit de cet héritage sourd que des générations et des générations peuvent se transmettre jusqu’à ne plus avoir le choix, par trop de douleur, que de briser le tamis qui nous voile la vérité, pour faire en sorte que cet héritage silencieux, devienne un héritage bruyant, évident, cru, étalé là, sous la lumière. Littoral, Incendies et Forêts abordent la question de la promesse non tenue, ou plutôt de celle que l’on profère et que l’on tente de tenir, et des raisons pour lesquelles on ne la tient pas, explorant aussi les conséquences et les raisons de ces conséquences.
 
Quel sens et quelle spécificité a Ciels après les trois autres œuvres ? Est-ce un point d’orgue, un contrepoint ? Une histoire tout à fait autre ?
 
Effectivement, Ciels est le contrepoint de ce que j’ai présenté auparavant, un spectacle qui cherche à contredire, tant par le fond que par la forme, tout ce que Littoral, Incendies et Forêts ont tenté de défendre : l’importance de la mémoire, la recherche de sens, la quête d’infini. A l’image de ce que j’ai amorcé dans Seuls aux côtés de mon équipe de conception, les mots ne sont pas les seules armes que nous utilisons. Les sons, images vidéo, configuration scénique, voix enregistrées, viennent s’entrelacer au texte. Il s’agit donc d’une écriture bien plus polyphonique que dans la trilogie. Peut-être pour venir dire que tout ce qui est défendu par Littoral, Incendies, Forêts peut finalement perdre le monde.
 
Que vous apporte ce travail d’écriture et de construction du spectacle qui consiste à mettre en forme le texte au fil des répétitions avec les comédiens ?
 
J’aime cet échange avec les comédiens. J’arrive en répétition avec l’histoire qui m’a habité pendant plusieurs années. Je la présente aux comédiens mais à ce stade, je n’ai pas encore trouvé toutes les réponses que je cherchais. Nous parlons : chacun racontant ce qu’il ressent, les idées qu’il a, les anecdotes ou envies qui font partie de lui. Et puis, je pars écrire avec ce matériau. Ensuite, lorsque je leur présente une scène, tout le monde parle et dit comment il ressent ce texte. Cela me permet de me taire pendant un long moment, d’écouter, et ce que j’entends provoque en moi des associations d’idées qui, par un effet d’enchaînement, me conduisent aux solutions que je cherchais. Dans un travail de création théâtrale, on part avec des hypothèses. La confrontation des idées et la multiplicité des points de vue permettent d’examiner ces hypothèses, de les tester en quelque sorte. Et quand je rentre chez moi, j’ai trouvé des réponses que je n’aurais pas trouvé seul et je me remets à écrire… J’aime assez comparer l’acte de création au fonctionnement du scarabée. Il s’agit d’un insecte au système intestinal hyper sensible, qui se nourrit des excréments des autres animaux. C’est ce qui lui donne cette couleur incroyable qui le rend si beau et fascinant parfois. Pour moi c’est pareil, j’ai une sensibilité très acérée, je suis extrêmement attentif aux couleurs, aux odeurs, aux impressions, aux histoires qu’on me raconte. Tel un scarabée, je me nourris de ce que les comédiens, entre autres, me donnent.
 
« Il s’agit de tout ce que l’on nous transmet dans le silence, dans l’ignorance et qui pourtant déchire notre existence et broie notre destin. »
 
Comment interviennent les tragédies et mythes grecs dans votre aventure littéraire et votre imaginaire ?
 
C’est un socle de référence pour moi. Les Grecs croyaient que lorsque l’on est condamné à faire et à refaire le même geste, c’est pour trouver où, dans ce geste, une erreur s’est glissée. Ils ne voyaient pas cela comme un comportement névrotique ni comme un ressassement maladif, mais comme un défi passé à l’homme pour tenter, dans la répétition, de trouver ce qui a failli. Raconter toujours la même histoire ressemble dans mon cas, je crois, à cette tentative de trouver où, dans l’histoire, s’est glissée l’erreur me condamnant à un étrange chagrin. Revenir aux tragédies c’est revenir à ce qui a fait naître notre civilisation. Comme nous avons de la difficulté à comprendre ce que nous sommes, nous nous tournons alors vers ces textes qui semblent encore nous indiquer ce que nous espérions atteindre, il y a de cela 2400 ans déjà. C’est le sentiment de la révélation qui m’interpelle tout spécialement chez les Grecs et chez Sophocle en particulier. Peut-être parce que, très concrètement, c’est une question que je pose souvent : qu’est-ce que je ne vois pas de moi ?
 
 
Vos textes foisonnent d’images, de ramifications et de résonances, loin de tout réalisme et pourtant faisant écho au réel. Quelle relation l’imagination entretient-elle avec le réel dans vos œuvres ?
 
L’imagination, ce n’est pas inventer quelque chose qui n’existe pas, mais utiliser ce qu’on a sous la main. En tant qu’auteur, on n’est propriétaire de rien. L’imagination et le réel sont, pour moi, comme le matador devant le taureau ! Laisser approcher la bête le plus près possible pour voir la mort en face. S’en nourrir, s’en rapprocher, le combattre et peut-être l’éviter ?
 
Propos recueillis par Agnès Santi


Littoral, Incendies et Forêts en intégrale les 8, 10, 11 et 12 juillet, de 20h à 7h du matin environ (couvrez-vous bien !) dans la cour d’honneur, Ciels du 18 au 29 juillet à Châteaublanc, Parc des expositions. Tél : 04 90 14 14 14.

A propos de l'événement


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