Venezuela d’Ohad Naharin par la Batsheva Dance Company, intense et poignant
Chaillot-Théâtre national de la Danse / Chorégraphie Ohad Naharin
Publié le 13 mai 2022 - N° 299Événement ! Ohad Naharin et la Batsheva Dance Company reviennent à Chaillot. Ils y présentent Venezuela, une odyssée des corps âpre, intense et poignante, où la brûlure des conflits imprime sa marque, et invite à réinventer une liberté.
Éblouissante par sa technique, sa créativité autant que par la puissance d’interprétation de ses magnifiques danseuses et danseurs, la Batsheva Dance Company est acclamée à juste titre dans le monde entier. C’est une fête et un événement de pouvoir les retrouver régulièrement, et notamment à Chaillot. Après Decadance, Mamootot ou Sadeh21, Venezuela propose une nouvelle odyssée des corps, âpre, intense, exigeante et poignante. Internationale, riche de tant d’histoires de multiples contrées, la troupe d’Ohad Naharin s’arrête ici sur un pays : Venezuela, un nom que le chorégraphe dit avoir choisi au hasard, qui sonne bien, cristallisant comme un point de conflit, et explorant « le dialogue et le conflit entre le mouvement et ce qu’il représente ». Comme une possibilité de dire par la danse ce que le nationalisme et la propagande provoquent, et par là même de dire tout le mal qui pourrait être évité. Si la danse d’Ohad Naharin est politique, elle ne l’est pas en assenant des messages, elle l’est par cette manière extraordinaire de danser ensemble, tout en se singularisant fortement, par la puissance et le rythme impeccablement structuré du mouvement, par l’intensité de l’émotion libérée par la danse, par l’écoute profonde que le mouvement exprime, écoute du corps, de soi, du monde, qui laisse émerger les rages, les douleurs, les joies (ici un peu) et les tristesses (beaucoup).
Une danse explosive et nourrie d’intériorité
Il est frappant de constater à quel point les mêmes mouvements sont différemment investis par les danseurs, chaque mouvement semblant profondément nourri de l’intériorité de l’interprète. Et justement, la pièce est partagée en deux chorégraphies identiques, mais dansées par deux groupes de danseurs différents, avec deux atmosphères musicales différentes, et quelques variations dont des drapeaux vierges dans la première partie puis colorés dans la seconde, avec quelques pays identifiables. Éruptive et fulgurante, rageuse lorsque les danseurs frappent le sol de leurs drapeaux, bouleversante lorsque le désir de se toucher est soudain empêché par un frein invisible, la danse parfois ralentit, prend le temps de s’exposer. Parfois des duos de danse se forment, fille et garçon reliés et entraînés dans une franche et assumée jubilation du mouvement (peut-être un brin ironique, ou pas). Les danseurs se rassemblent tous lors d’une scène très impressionnante, lancés chacun dans une course si vive qu’on craint parfois la collision. De la sacralité des chants grégoriens au rap énervé de The Notorious B.I.G. avec Dead Wrong ou au rock metal de Rage Against the Machine, la bande sonore est un atout qui décoiffe. Elle est signée Maxim Warrant, soit Ohad Naharin lui-même. Une pièce remarquable où la pression des conflits et l’intensité des désordres laissent émerger une sorte de transe qui sublime les angoisses et célèbre encore et toujours la danse. Pour chacun et ensemble, en une polysémie foisonnante et ouverte. Un spectacle puissant !
Agnès Santi
A propos de l'événement
Venezueladu jeudi 12 mai 2022 au vendredi 27 mai 2022
Chaillot - Théâtre national de la danse
1, Place du Trocadéro, 75116 Paris
Les 13, 14, 17, 18, 21, 24, 25, 27 mai à 20h30, jeu. 12, 19, 26 à 19h30, dim. 15, 22 à 15h30. Tél. : 01 53 65 30 00. Durée : 1h20.