La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Une trop bruyante solitude

Une trop bruyante solitude - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de Belleville
Thierry Gibault, recycleur de papiers et compresseur de merveilles. Crédit photo : Pauline Le Goff

Théâtre de Belleville / de Bohumil Hrabal / adaptation et mes Laurent Fréchuret

Publié le 22 février 2016 - N° 241

Laurent Fréchuret met en scène Thierry Gibault dans l’adaptation d’Une trop bruyante solitude, que tous deux tiennent pour un chef-d’œuvre : leur travail commun atteste autant de leur talent que du génie poignant de Bohumil Hrabal.

Hanta, le recycleur de papiers et compresseur de merveilles inventé par Bohumil Hrabal, emprunte discrétion et appétit papivore aux souris, en compagnie desquelles il travaille. Hanta est à la fois rat de bibliothèque et rat d’égout (Laurent Fréchuret avait d’ailleurs nommé Diptyque du rat, le spectacle qu’il avait créé en 2010 autour de ce texte et d’un autre de Copi). Terré au fond de la cave où s’amoncellent les invendus, les livres censurés, les vieux prospectus et les reproductions des plus beaux tableaux, Hanta est le bâtisseur et le gardien d’un mémorial, qu’il édifie à grands coups de presse depuis trente-cinq ans. Il trie parmi les ordures, garde pour lui certains livres qu’il arrache à la destruction programmée, et lorsqu’il s’agit d’enterrer décemment une merveille d’intelligence et de beauté, il la place au cœur d’un paquet compressé, à la fois cercueil et écrin. Hanta le pilonneur aurait pu faire son travail en aveugle. Le problème est qu’il se met à lire ce qu’on lui demande de détruire… Demeuré résistant de l’intérieur dans la Tchécoslovaquie communiste, Hrabal, qui devait ressembler au lumineux Hanta, fait l’éloge d’une imagination insolente et maquisarde, qui raille les fascismes qui détestent toujours également l’humour et la culture.

La résistance comme une œuvre

Laurent Fréchuret confie à Thierry Gibault le rôle de Hanta. Au cœur d’une composition sonore et lumineuse soignée, suggestive et très belle (remarquable travail de François Chabrier et d’Eric Rossi), le comédien offre une interprétation émouvante et fascinante de ce curieux bonhomme aux allures de Bartleby kantien. L’apparition initiale de Hanta, surgi du noir, les yeux vitreux comme ceux des rongeurs habitués à l’obscurité, est saisissante. Les bras maculés d’encre, le costume taché, Thierry Gibault semble drapé dans une toile de Pollock, le « peintre acteur ». Tel « Jack the dripper », Hanta fabrique ses œuvres compressées à coups de fulgurantes saillies. Les textes de l’idéalisme allemand et ceux de la philosophie antique se mélangent à des reproductions de Rembrandt ou de Monet pour fabriquer des collages incongrus et poétiques, semblables à ceux de Jiří Kolář, compatriote de Hrabal. Mais le développement des forces productives menace le pauvre Hanta, trop incontrôlable et trop original pour supporter la vitrification stalinienne. Lorsqu’il découvre la presse mécanique de Bubny et ses joyeux employés en uniforme, il comprend qu’il ne lui reste plus qu’à imiter Sénèque, s’il ne veut pas être réduit à « emballer des paquets d’une blancheur inhumaine ». Thierry Gibault interprète son personnage avec une ferveur, une force et une pudeur hallucinantes. La subtilité de son jeu aménage le passage du jubilatoire au tragique avec un talent éblouissant. Un très beau et très intense moment de théâtre.

Catherine Robert

A propos de l'événement

Une trop bruyante solitude
du lundi 1 février 2016 au mardi 29 mars 2016
Théâtre de Belleville
94 Rue du Faubourg du Temple, 75011 Paris, France

Lundi à 21h15 et mardi à 19h15. Tél. : 01 48 06 72 34. Durée : 1h05. Reprise au festival d’Avignon, du 6 au 30 juillet à 16h30 au Théâtre des Halles.

 

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