La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Une maison de poupée

Une maison de poupée - Critique sortie Théâtre
Crédit : Pascal Victor Légende : Marina Foïs, parfaite Nora dans le rôle de l’épouse modèle, face à Alain Fromager.

Publié le 10 janvier 2012 - N° 194

Marina Foïs et Alain Fromager tendent le drame d’Ibsen avec subtilité et le font résonner au cœur d’aujourd’hui.

« Notre foyer n’a pas été autre chose qu’une salle de jeux. J’ai été ta poupée, comme j’ai été la poupée de papa. Et les enfants à leur tour ont été mes poupéesJe trouvais ça plaisant quand tu jouais avec moi, tout comme vous trouviez ça plaisant quand je jouais avec vous. C’était ça notre mariage. », lâche Nora, dégrisant brutalement le mirage de huit années de vie commune. L’alouette amoureuse et joueuse, inconsciente insouciante qui gazouillait hier au salon, rompt d’un trait sec la cage des douces conventions qui la corsetait dans la futilité matérialiste d’un quotidien bourgeois. Jusque là, elle s’était pourtant bien fondue au creux du modèle dominant de l’épouse joliment frivole et docile. Elle avait même sauvé son mari, épuisé par le travail, en lui offrant une longue convalescence ensoleillée, seul remède à son mal. Et pour financer ce voyage, elle avait contracté en cachette un crédit en falsifiant la signature de son père. Fière de son acte d’indépendance, elle remboursait orgueilleusement sa dette, sacrifiant ses heures de loisirs à rédiger des traductions, sans imaginer que ce secret ferrait le piège qui allait la dévoiler. Mais voilà, de malheureuses manœuvres ont soudain déchiré les mensonges de la vie. Délit selon la loi des hommes, son généreux forfait une fois découvert a révélé le factice des jeux de rôle. Nora, qui fut fille, épouse puis mère, ne peut que s’en aller pour apprendre à être elle-même, enfin.
 
Un jeu très naturel
 
En 1879, quand Ibsen publie Une maison de poupée, la pièce claque comme une cinglante provocation dans la société norvégienne, toute roidie dans ses bonnes mœurs. Nora, icône de la délicieuse femme choyée, osait l’inconcevable : briser le pacte social en quittant mari et enfants. Plus d’un siècle après, la charge féministe résonne toujours, mais plus encore le geste d’une personne qui avait renoncé à elle-même et entend désormais exister. C’est cette prise de conscience, effrayante, que montre magnifiquement Marina Foïs. Sa Nora laisse deviner, sous les ravissantes minauderies, un cœur solitaire, sincère, déchiré, naïf certes mais qui devine le jeu social et s’y coule volontiers, croyant y trouver l’amour. Elle finira par casser l’illusion devenue insupportable. Là git d’ailleurs le drame, car Helmer, qu’Alain Fromager rend bien sympathique au fond, ne comprend rien et demeure prisonnier des schèmes traditionnels. Le metteur en scène Jean-Louis Martinelli a opté pour une traduction décapée de toute affèterie et plante l’action ici et maintenant, dans un décor contemporain mi-figuratif mi-abstrait, assez banal. Portée avec naturel par les acteurs, cette Maison de poupée dessine subtilement la constellation des relations et les trajectoires de ces êtres aux prises avec leurs questions d’identité et leur place dans la société.
 
Gwénola David


Une maison de poupée, d’Ibsen, mise en scène de Jean-Louis Martinelli, du 10 au 22 janvier 2012 à 20h30 sauf dimanche à 15h30, relâche lundi, au Théâtre Nanterre-Amandiers, 7 avenue Pablo-Picasso, 92022 Nanterre. Rens. 01 46 14 70 00 et www.nanterre-amandiers.com. Durée 2h10.

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