La Terrasse

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Théâtre - Critique

Ruy Blas

Ruy Blas - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : DR Légende photo : Christian Schiaretti met en scène Ruy Blas, leçon et espoir pour le peuple.

Publié le 10 janvier 2012 - N° 194

Christian Schiaretti met en scène l’épopée politique et amoureuse du ver de terre épris d’une étoile, et propose une lecture fine et intelligente de Ruy Blas, servie par des comédiens de talent.

A trop confondre romantisme et romanesque, on pourrait croire que Ruy Blas est une bluette pour cousettes, où la Reine, jeune et jolie, métamorphose par son amour le crapaud en prince charmant. Christian Schiaretti, qui a des Lettres, ne s’y trompe pas et évite de transformer les deux tourtereaux en amoureux niais, qui parviendraient à renverser l’ordre social par la seule force de leur attachement. Et parce que le metteur en scène sait aussi que le peuple doit se battre pour s’émanciper (sa volonté obstinée d’un « élitaire pour tous » à la tête du TNP suffit à le prouver), il n’édulcore pas la lutte des classes, dont la pièce de Hugo illustre la cruauté. Lorsque sa Reine (Juliette Rizoud) s’enfuit de la maison dans laquelle sa réputation est en péril, c’est de loin, et lâchement, qu’elle fait ses adieux au valet qu’elle a pris pour un grand, en aristocrate pusillanime, rétive à assumer l’opprobre et le ridicule des amours ancillaires. Quant à Ruy Blas (Nicolas Gonzales), il apparaît comme un petit jeune homme dépassé par la situation, couinant plutôt que grondant, chiot plutôt que mâtin face à la meute sanguinaire des loups, dont Salluste est le plus brutal. Mort, peut-être, mais vainqueur, le sinistre vengeur prouve que les puissants l’emportent encore et toujours, même quand ils font croire au peuple qu’il peut s’élever au-dessus de sa condition et gouverner.
 
Drame du peuple 
 
En confiant les rôles-titres de la pièce aux jeunes comédiens de la troupe du TNP, et en réservant ceux de Salluste et de César aux magnifiques Robin Renucci et Jérôme Kircher, Christian Schiaretti fait mieux que mêler sur scène maîtres et débutants : il illustre théâtralement la portée politique de Ruy Blas. Cette pièce est le drame de la jeunesse et du peuple, écrasés par la toute-puissance des aristocrates. Car César et Salluste ne sont pas cousins par hasard : si le premier représente l’avers des valeurs positives de l’aristocratie (la témérité, le mépris constitutif pour l’argent, qu’il ne convoite que pour le dépenser avec prodigalité – parangon de l’homme de La Société de cour qu’analyse si bien Norbert Elias), le second en incarne le revers (la mesquinerie, la morgue, le mépris de classe). La tragédie apparaît donc, dans cette mise en scène, par la dimension politique : si le vipérin Salluste meurt la tête écrasée comme un serpent venimeux, Ruy Blas crève comme un ver de terre pitoyable. Le splendide décor d’azulejos imaginé par Rudy Sabounghi et magnifié par les lumières de Julia Grand suggère le confinement délétère de cette cour à l’étiquette étouffante, où tous complotent, ourdissent des pièges et s’épient. Les comédiens chorégraphient et interprètent avec une belle aisance ce drame du peuple, à la fois leçon, avertissement et espoir. S’il faut définir le théâtre populaire, c’est peut-être à la source hugolienne qu’il faut retourner s’abreuver : Christian Schiaretti s’y emploie avec assurance et panache !
 
Catherine Robert


Ruy Blas, de Victor Hugo ; mise en scène de Christian Schiaretti. Du 6 au 29 janvier 2012. Du mercredi au samedi à 20h45 ; dimanche à 17h. Les Gémeaux – Scène Nationale, 49, avenue Georges-Clémenceau, 92330 Sceaux. Tél : 01 46 61 36 67. Durée : 3h. Spectacle vu au TNP, à Villeurbanne.

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