Vents contraires de Jean-René Lemoine
Jean-René Lemoine met en scène les [...]
Un théâtre total, répondant à une haute ambition artistique et politique. L’art comme combat contre l’asservissement, à travers l’arme du rire. Et l’art comme expression ancestrale et vigoureuse de la beauté. A ne pas manquer !
Le Théâtre du Soleil est tout illuminé, et sa vaste nef accueillante, dont les murs offrent à lire quelques sages maximes de Gandhi, est à l’heure indienne. Le spectacle se déploie dans une chambre en Inde ; dans cette chambre séjourne Cornélia, qui assume la direction d’une troupe de théâtre depuis que son directeur, Constantin Lear (Tchekhov et Shakespeare en un seul nom !), terrassé par l’horreur des attentats de Paris, a fui. La police l’a retrouvé nu et éméché, grimpant sur une statue du Mahatma Gandhi. Affolée, perdue, en proie à de récurrents problèmes gastriques, Cornélia (formidable Hélène Cinque !) panique d’autant plus qu’elle doit annoncer urgemment le sujet de leur prochain spectacle, qui ne peut que faire écho au chaos du monde. Mais que peut donc le théâtre lorsque le monde va si mal ? Miroir d’une impuissance ? Cri de colère ? Exhortation à lutter ? A la fois assumant et dépassant ces questions, Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil font théâtre de cette quête de spectacle avec une époustouflante maestria qui nous emporte dans un voyage sans frontières, un voyage qui par son existence même, par l’attention extrême qu’il accorde à la beauté du geste et à notre commune humanité, répond à la question de la nécessité de l’art. L’art pour tous, qui n’est pas un symptôme comme on le voit parfois sur nos scènes contemporaines, mais un remède, une ouverture, un appel à être libre, en toute modestie et en toute lucidité. C’est une véritable prouesse qu’a réussi le Théâtre du Soleil, qui conjugue ici une exigence artistique très minutieuse (comme à l’accoutumée) et une plongée dans les désordres géopolitiques et la violence d’aujourd’hui. Sans aucune certitude idéologique, sans aucun cynisme, mais avec le souci de l’exactitude, même si le monde est de plus en plus incompréhensible !
Rire accusateur et art valeureux
Dans cette chambre, le réel fait irruption de multiples façons. Cornélia se désole au départ de n’avoir aucune vision pour le spectacle, mais lorsqu’elle s’endort, ses cauchemars entrent par les fenêtres. N’est-ce pas dans l’étoffe des rêves qu’apparaît aussi la vérité ? C’est le monde entier que le Théâtre du Soleil convoque, et ce sont des figures actuelles qu’il interroge, qu’il vilipende, et qu’il ridiculise, car contre la peur que génère la folie du monde, contre la haine brutale qui transforme les hommes en assassins, la troupe du Soleil a choisi le rire. Un rire accusateur et décapant. « Mock the villains ! » : c’est Shakespeare lui-même qui le recommande. Au premier rang desquels les terroristes islamistes de Daesh, les talibans kamikazes, les dignitaires saoudiens – champions des droits de l’homme -, les adeptes du mariage forcé et autres garants du bafouement de la dignité humaine (plusieurs de ces scènes sont hilarantes). A travers aussi des thèmes écologiques comme le réchauffement climatique et la pollution industrielle, le spectacle dénonce la cupidité humaine sans limites. Parallèlement au combat contre l’asservissement, l’art affirme au fil des scènes la beauté et la puissance de ses formes ancestrales, et met en œuvre diverses mises en abyme. Le Théâtre du Soleil a initié la conception de ce spectacle lors d’un voyage en Inde en janvier 2016, lors duquel la troupe a découvert et travaillé le Theru Koothu, théâtre traditionnel tamoul très ancien et populaire, évoquant les épopées du Mahabharatha et du Ramayana. L’incursion splendide et l’élan énergique de ce théâtre sont un émerveillement. Cornélia reçoit aussi la visite de deux figures tutélaires et aimées. William Shakespeare (Maurice Durozier) : plume en avant, il part à l’attaque contre la vilénie. Et le médecin et écrivain Anton Tchekhov (Arman Saribekyan), accompagné des trois sœurs Irina, Macha et Olga : quelle tendresse dans le bref échange avec Cornélia… Dans la lignée de Chaplin avec Le Dictateur (1940), Ariane Mnouchkine a réussi son pari pourtant extraordinairement difficile. Bravo à toute l’équipe du Théâtre du Soleil !
Agnès Santi
Durée : 3h30, Entracte de 15 minutes.
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Grâce à la mise en scène de Giorgio Barberio [...]