La Terrasse

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Théâtre - Entretien

Un pessimisme qui a le fou rire

Un pessimisme qui a le fou rire - Critique sortie Théâtre Paris _Le Lucernaire

Entretien avec Laurence Février

Publié le 28 septembre 2013 - N° 213

Avec talent, Laurence Février souvent nous bouscule dans nos habitudes de spectateurs et dans nos réflexions de citoyens. Elle nous fait aujourd’hui découvrir une tragi-comédie méconnue de Marguerite Duras, Yes, peut-être, qui confronte deux femmes, survivantes d’une catastrophe, flanquées d’un guerrier sur le point de mourir. Un humour noir à la Beckett, et une langue unique libérée de toute influence. 

Pourquoi avez-vous décidé de monter cette pièce de Marguerite Duras ?

 

Laurence Février : J’ai été épatée et étonnée par ce texte, totalement à part dans la production de Marguerite Duras.  J’ai des souvenirs très fort de certaines mises en scène réalisées de son vivant, et je trouve aujourd’hui  très intéressant d’aborder son œuvre par un texte méconnu et inattendu.  Sur un sujet effarant – la guerre et le nucléaire -, plus que jamais d’actualité, elle écrit un conte philosophique, une fable caractérisée par un humour décapant. Deux femmes irradiées, A et B, flanquées d’un homme exténué en train de mourir, sorti du dernier « désert à guerre », sont parquées dans un bout de désert. Sorte de double féminin des personnages d’En attendant Godot de Beckett, elles se parlent dans une langue détachée de toute influence, et s’interrogent sur la nature de ce dernier guerrier, sur la nature de la guerre. C’est très fort de traiter d’un tel sujet par le biais d’une fable tragi-comique, et cela nous permet de réfléchir d’une autre manière.

« Comme Marivaux ou Beckett, Marguerite Duras crée une langue et un humour spécifiques. »

Avec quel regard sur ces deux femmes ?

L. F. : Il y a un côté expérimental dans cette pièce, un côté chercheur scientifique. On installe les irradiés dans le désert et on voit comment ils survivent. Ces femmes observent le guerrier moribond comme des médecins observeraient un malade, ou comme de grandes lectrices observeraient une littérature ancienne. A la fin de la pièce se dessine quand même l’espoir d’un monde qu’il faut reconstruire autrement, autrement qu’avec la guerre. C’est un conte…

Comment  se confronter à une telle langue ?

L. F. : Le monde, le langage et la mémoire ont été attaqués, et cette perte de mémoire peut évoquer aussi aujourd’hui la maladie d’Alzheimer. Dans cet univers de science-fiction, la langue permet de renaître au monde. Le Yes, peut-être agit comme leitmotiv et comique de répétition. Face à cette langue, qui jaillit en transformant l’horreur en tragi-comédie, c’est un défi de trouver le bon endroit, le ton juste, d’autant plus que contrairement à Beckett, il n’existe pas de tradition ou de traces auxquelles se référer. Je voudrais vraiment que ce soit limpide et accessible. Je travaille sur la langue, sans créer d’images, c’est à partir de la langue que l’imaginaire du spectateur bâtit ce qu’il veut, construit ses images et son propre scénario. Duras explique qu’elle « a envie de jouer avec les mots, de les massacrer, de les tuer, de les faire servir à autre chose ». Comme Marivaux ou Beckett, elle crée une langue et un humour spécifiques. Cet humour est « un pessimisme qui a le fou rire », dit-elle…

Propos recueillis par Agnès Santi

 

A propos de l'événement

Yes peut être
du mercredi 9 octobre 2013 au dimanche 8 décembre 2013
_Le Lucernaire
53 rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris

Du 9 octobre au 8 décembre, du mardi au samedi à 20h, dimanche à 15h. Tél : 01 45 44 57 34.
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