Cinna ou la Clémence d’Auguste
Tiens, du classique à l'Echangeur ! Etonnant [...]
Une pièce magistrale de Thomas Ostermeier d’après Ibsen, qui interroge pleinement le fonctionnement et la nature de notre démocratie.
Thomas Ostermeier et Henrik Ibsen, c’est un tandem qui fonctionne. Citons Nora d’après Une Maison de Poupée (superbe réussite), John Gabriel Borkman (excellent), et Un Ennemi du Peuple, qui a triomphé au Festival d’Avignon 2012, (exceptionnel)… Le metteur en scène a ce talent de montrer et faire entendre l’acuité et l’actualité de la langue d’Ibsen, son inscription et ses implications au cœur de notre monde, et au cœur de nos vies. Une langue que sa pensée et son esprit critique saisissent avec force, intelligence, énergie et conviction, et qu’il n’hésite pas à adapter au présent. La mise en scène et le jeu servi par de remarquables comédiens constituent ici une époustouflante et magistrale caisse de résonnance, un amplificateur de sens qui met en alerte, qui rappelle aussi que l’individu a encore son mot à dire dans un monde pourtant soumis à un capitalisme plus sauvage que régulé, dont le but en toute logique est le profit plus que le bien-être de l’humanité. La pièce montre à cet égard toutes les ambiguïtés et les dérives de l’affrontement entre intérêt général et privé, vérité et mensonge, passion et raison, majorité et minorité, et interroge pleinement le fonctionnement de notre démocratie.
Tribune pour la scène et la salle
Le docteur Stockmann a découvert que l’eau qui alimente les thermes de la ville est dangereuse pour la santé, et souhaite par l’intermédiaire de la presse informer la population. Son frère, maire de la ville qui tire sa richesse des bains, s’y oppose, ainsi que son beau-père, propriétaire des tanneries polluantes. Les vérités s’écrivent et s’effacent dans un monde fluctuant. De 1882 à 2013, changement de décor et immersion dans la vraie vie. Sur scène, Stockmann, sa famille et quelques amis journalistes, des bobos d’aujourd’hui, dans le cocon d’une douillette soirée : spaghettis, volutes de fumée, bière, vin, Changes de David Bowie interprétée en live. Bientôt, le conflit entre les deux frères – l’un décontracté, l’autre en costume cravate, les atours de leurs différences – se noue et s’intensifie, et Stockmann est lâché. Pour ne pas être réduit au silence, il prend la parole devant les citoyens de la ville. Il se radicalise, dénonce une majorité imbécile… Lumière dans la salle, le public est invité à débattre et la parole surgit aussitôt. C’est évidemment un moment fort (et risqué), un écho contemporain spontané à l’intrigue, où furent évoqués ce soir-là quelques scandales où les intérêts économiques pervertissent la vie publique et privée. Le théâtre comme art du questionnement et art politique. Du grand art !
Agnès Santi
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