Lotfi Achour / Entre l’œuvre et l’Histoire
Lotfi Achour, Anissa Daoud et Jawhar Basti [...]
Le nouveau spectacle de fin d’études des élèves du CNAC porte mille et une promesses : celles d’un monde où l’absurdité rivalise avec la poésie, et celles de jeunes interprètes aux potentiels éclatants.
Christophe Huysman, metteur en scène de la compagnie Les Hommes Penchés, a répondu au débotté à l’invitation du Centre National des Arts du Cirque pour mettre en piste sa vingt-cinquième promotion. Cet artiste n’est pas un nouveau venu dans ce domaine, car il crée ses spectacles en conjuguant la danse, le théâtre et le cirque pour mieux révéler l’instabilité du monde et la folie créatrice des hommes, s’ils veulent bien faire un pas de côté. Il sait placer la question du corps au centre de ses préoccupations, et c’est bien ce qui ressort de cette nouvelle aventure et qui en fait tout le sel. Tetrakaï joue à fond la carte du numéro, des agrès, de la piste circulaire, de l’humour. Un bon dosage de toutes les composantes du cirque, un travail sur les caractères de l’humain, de l’animal, et sur le clown, qui prend tout son sens lorsque le corps et son engagement dans le mouvement deviennent le liant essentiel. Tout commence comme une plaisanterie : des petits modules télécommandés ouvrent le bal et font résonner d’une voix robotisée un avertissement, qui vaudra pour tout le spectacle. Ils annoncent une société où tout est envisageable, dans un monde agité… Nous voilà prévenus. C’est ce que nous montre ce boxeur, devenu chien fou, dont la présence frénétique est vite balayée par un premier numéro au portique coréen.
Humour, grâce et singularité des corps
La tension monte à mesure que l’extraordinaire duo entre Victoria Martinez et Basil Forest nous emporte, tout en prises de risques, en suspensions, en envolées redoutables. L’angoisse monte, et ce à plusieurs reprises dans le spectacle, mais le sentiment est sans arrêt désamorcé par des situations où l’absurdité l’emporte. De grandes tablées où les corps dégoulinent et finissent inanimés, laissent place à un texte joliment porté, et avec humour, par l’acrobate Edouard Doumbia. On retient son souffle, on rit, on se perd dans l’étrangeté cultivée par les quatorze interprètes. La course de lenteur, où chacun se bat pour croquer la pomme, devient un moment d’anthologie, qui introduit sans que l’on s’en aperçoive le trapèze Washington. Il en va de même pour ce duo aux yeux bandés, entre danse et acrobatie, qui lie deux hommes à la vie à la mort. Dans ce monde, personne n’a peur de l’informité des corps. Qu’il soit perdu dans un vêtement, à la renverse dans une poubelle, où disproportionné sous une jupe, chaque corps produit un univers dans lequel le spectateur se trouve happé… au risque d’en ressortir enchanté !
Nathalie Yokel
Lotfi Achour, Anissa Daoud et Jawhar Basti [...]