La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Danse - Entretien

Trisha Brown et Neal Beasley

Trisha Brown et Neal Beasley - Critique sortie Danse
© Julieta Cervantes Légende : Opal Loop / Cloud Installation de Trisha Brown.

Publié le 10 octobre 2011 - N° 191

Une œuvre magistralement novatrice

La grande artiste américaine Trisha Brown présente au théâtre de Chaillot I’m going to toss my arms ; if you catch them, they’re yours, une création mondiale, ainsi que la première européenne de la pièce Les Yeux et l’âme, sur des extraits de Pygmalion de Rameau, et deux reprises : Watermotor (1978) et Opal Loop / Cloud Installation (1980). Des œuvres représentatives d’un parcours remarquablement fécond et vivace. Sans oublier ses Early Works dans le foyer. Entretien Trisha Brown et Neal Beasley, danseur de la compagnie depuis 2003.

« Je collabore avec la musique de Rameau, c’est une muse et un partenaire. » Trisha Brown
 
 
Vous avez mis en scène avec succès l’opéra Pygmalion de Rameau en 2010. Puis vous avez créé Les yeux et l’âme sur des extraits de l’œuvre, ses sections dansées. Qu’aimez-vous dans la musique de Rameau ?
Trisha Brown : Lorsque j’ai commencé à étudier la danse à la fin des années cinquante, j’ai étudié avec Louis Horst, le pédagogue le plus important de l’après-guerre aux Etats-Unis pour la composition. Il pensait que la connaissance des danses populaires du XVIIIe siècle était un préalable nécessaire pour aborder la composition. Voilà comment, avant d’étudier les méthodes de John Cage, j’en suis venue à comprendre la signification de la chorégraphie, le sens communiqué à travers la structure, que la danse soit exécutée avec ou sans musique. Dans mon travail avec Rameau je retourne donc à un aspect peu connu de mon apprentissage. J’ai étudié intensément la musique classique pendant quinze ans, et avec Rameau, je suis moins véhémente sur cette idée de mettre toute ma danse au premier plan de la musique : je collabore avec la musique de Rameau, c’est une muse et un partenaire, tout comme mes autres muses, les danseurs. Parfois j’accorde la danse à la musique, parfois la danse est située entre les notes ; les images de la chorégraphie précèdent l’articulation du chanteur au livret, ou alors suivent des clés dans la musique ou les récitatifs. En développant la chorégraphie pour l’opéra, je procède selon une logique minutieuse, une acceptation de l’improvisation, de la spontanéité, ainsi qu’une attention aux capacités naturelles du corps, aux trajectoires naturelles de son mouvement, à sa réponse naturelle – et logique – à la gravité et à l’élan physique, ainsi qu’à sa géométrie. Dans l’opéra mon vocabulaire gestuel et les structures chorégraphiques sont empreints d’images qui réagissent au livret et au contenu émotionnel du livret et de la musique, et le mouvement est réalisé par les chanteurs.

Considérez-vous l’œuvre de Trisha Brown comme celle d’un peintre travaillant dans l’espace ?


Neal Beasley : 
Ces quelques images constituaient plutôt un tremplin, une direction. Nous avons exploré les densités variables de ces images, et la façon dont elles indiquent simultanément à la fois le mouvement et les formes statiques. Pendant le travail s’est élaborée une sorte de dialogue entre les choix des danseurs, un jeu d’allers-retours entre les corps et leurs solutions particulières. L’unisson du matériau semblait se régler ou se dérégler, et c’était comme regarder le jeu formel d’une personne interrompant la phrase par une accélération. Comme l’expérience de regarder un seul corps bouger à travers des élans multiples, presque contradictoires – ce qui est la façon dont le corps de Trisha bouge. Cette interruption – ou aberration, comme nous l’avons appelée – est devenue une structure formelle centrale, une proposition pour le développement du mouvement.

Qu’est-ce qui a donné naissance à votre création 2011 ? Les notions de « sculpture, calligraphie et corps noués » que vous évoquez sont-elles essentielles dans cette création ?

Neal Beasley : Le travail de Trisha a toujours été très directement lié à son intérêt pour l’art visuel, et à sa participation de longue date à cet univers, que ce soit à travers des collaborations ou dans ses propres œuvres. Son œil est sensible à l’espace : à ses géométries, aux relations entre les corps, et à la façon dont l’œil du spectateur peut être orienté par le choix chorégraphique. Ces préoccupations sont certes celles d’un peintre ; cependant, la chorégraphie de Trisha a toujours été essentiellement intéressée par l’investigation du corps cinétique, et en cela relève de préoccupations spécifiques à la danse. Même si sa danse s’apparente parfois clairement à un dessin dans l’espace, c’est avant tout une expérience du domaine physique, qui ne consiste pas simplement à élaborer des images pour un spectateur.
 
Propos recueillis et traduits par Agnès Santi


Quatre pièces de Trisha Brown, du 5 au 14 octobre à 20h30, relâche les 9 et 10 octobre. Théâtre National de Chaillot, 1 Place du Trocadéro, 75016 Paris. Tél : 01 53 65 30 00.

A propos de l'événement


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