« Tout le temps du monde » de Danai Epithymiadi, un subtil questionnement sur l’identité et le deuil
La Colline – Théâtre national / Texte et mise en scène de Danai Epithymiadi
Publié le 27 janvier 2024 - N° 318Dans Tout le temps du monde dont elle signe le texte et la mise en scène, la Grecque Danai Epithymiadi livre avec une élégante distance onirique une histoire très personnelle, celle du deuil de sa mère.
La chambre d’hôpital que l’on découvre sur le petit plateau de La Colline au début de Tout le temps du monde a tout ce qu’il faut pour nous mettre sur la piste d’un récit naturaliste de fin de vie ou de maladie. Entre des murs peints d’un jaune-bleu peu reluisant, se tient un lit médical où une jeune femme semble reposer de toute éternité. C’est la Grecque Danai Epithymiadi, également autrice et metteure du spectacle, le premier qu’elle présente en France, grâce à La Colline qui le produit. Un homme en blouse blanche lui rend visite : c’est le comédien Giannis Karaoulis. Jusque-là tout va bien – du moins pour le spectateur. Mais à peine l’infirmier a-t-il refermé la porte derrière lui, le cadre qui vient d’être posé est ébranlé. La lumière vacille et un son douteux s’élève, une sorte de grondement mêlé à des éclats de voix diffusés par la télévision installée en face du lit. On quitte ainsi les rives naturalistes où s’arrime la pièce, mais on y reviendra. Car c’est dans un entre-deux que se déploie Tout le temps du monde : celui où se débat et s’égare Christina, le personnage incarné par Danai Epithymiadi, que l’on voit bientôt se réveiller de son sommeil, à moins qu’elle ne nous parle depuis son coma. Tout comme la fluctuation entre rêve, délire et réel, cette ambiguïté sera savamment maintenue durant tout le spectacle, qui nous plonge au sens propre comme au figuré dans une psyché bouleversée par un événement traumatique refoulé : la mort de la mère suite à une longue maladie.
En apnée dans l’inconscient
Pour en arriver à la formulation de cette perte, Christina emprunte des chemins très variés et bien peu linéaires. Grâce à son complice Giannis Karaoulis, habile à endosser les rôles de tous les visiteurs de l’alitée, Danai Epithymiadi déploie plusieurs fils oniriques qu’elle développe par bribes, au gré imprévisible de la remontée des souvenirs au terme de laquelle sa protagoniste sera, devine-t-on, libérée, prête à poursuivre sa vie. En faisant dialoguer Christina tantôt avec un policier qui la suspecte de meurtre, un voyant dont le thé magique lui permet de traverser les différentes couches de son inconscient ou encore avec la nageuse Natalia Molchanova capable de retenir son souffle pendant neuf minutes – soit « le temps qu’on peut passer sous l’eau sans devenir un poisson » -, Danai Epithymiadi crée une fine mais nécessaire distance avec son histoire personnelle. Car elle ne s’en cache pas dans la présentation de sa pièce : le parcours initiatique de Christina est le fruit d’une mise en fiction du sien. On pense à Seuls de Wajdi Mouawad, d’autant plus que ce spectacle autobiographique s’est joué dans la même salle que Tout le temps du monde. Comme le directeur de La Colline, dont l’alter ego est enfermé dans son solo non pas dans un hôpital mais dans une salle de musée, quoi que de manière plus feutrée et implicite, l’artiste grecque se livre à un subtil questionnement sur l’identité. Dans son interrogation sur les mécanismes de construction d’un individu, le théâtre prend une place centrale, joyeuse et consolatrice.
Anaïs Heluin
A propos de l'événement
Tout le temps du mondedu mardi 30 janvier 2024 au dimanche 11 février 2024
Théâtre de la Colline
15 rue Malte-Brun, 75020 Paris
du mercredi au samedi à 20h, le mardi à 19h et le dimanche à 16h. Tel : 01 44 62 52 52. Durée : 1h30.