La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2018 - Entretien / Thomas Jolly

Thyeste

Thyeste - Critique sortie Avignon / 2018 Avignon
Thomas Jolly Crédit : Jean-Louis Fernandez

Cour d’honneur / Thyeste / de Sénèque / mes Thomas Jolly
Entretien Thomas Jolly

Publié le 22 juin 2018 - N° 267

Thomas Jolly met en scène Thyeste, de Sénèque, dans la traduction de Florence Dupont. Une version fidèle à la manière antique, qui exacerbe la théâtralité et renoue avec l’essence de la tragédie.

« Il s’agit de pleurer ensemble. »

Quelle est l’importance du choix de la traduction de Florence Dupont ?

Thomas Jolly : J’ai été fasciné par cette traduction et j’ai adoré rencontrer et lire Florence Dupont, avec qui j’ai étroitement collaboré. J’ai l’habitude de m’informer auprès des auteurs ou des traducteurs. Florence est un puits de science et j’aime beaucoup ses positions sur ce théâtre incompris dont elle essaie de remettre la théâtralité au goût du jour. La tragédie, à l’époque de Sénèque, était un spectacle à grande échelle, contrairement à l’idée qu’on s’en fait, immobile, compassée et hiératique. Cette dimension spectaculaire, que j’assume, va sans doute en dérouter certains, mais c’est à cette théâtralité que nous invite Sénèque. Je retrouve dans cette pièce et dans cette traduction ce qui anime mon geste de mise en scène : rethéâtraliser le théâtre.

Après Richard III, vous continuez à fréquenter les monstres…

T. J. : Le monstre est le plus beau personnage de théâtre. Il est celui qui est montré ; il est donc l’acteur à son paroxysme, sorti de l’humanité. Les monstres sont moins visibles dans la vie : le théâtre permet de les reconnaître comme avec une forte loupe. Une question fondamentale est posée à l’acteur : comment défend-on Richard ou Atrée ? Il faut, non pas trouver le monstre en soi, mais trouver l’humanité dans le monstre. Je crois que le rôle du théâtre est de faire circuler la pensée. Non pas d’apporter des réponses, mais de faire naître des questions. Ces personnages détestables, haïssables, permettent de les reconsidérer parce qu’ils existent encore. La monstruosité existe et nous vivons avec. Fouiller dans ces personnages permet donc de mieux les reconnaître dans la vie.

Quelle est l’histoire que raconte la pièce ?

T. J. : Atrée et Thyeste sont tous deux héritiers du trône d’Argos. Celui qui possèdera le bélier d’or aura le trône. Thyeste, par l’entremise de la femme d’Atrée, vole le bélier à son frère qui découvre avec stupeur, au matin du couronnement, que Thyeste tient le bélier dans sa bergerie. Mais le soleil confond Thyeste. Atrée exile son frère et répudie sa femme. Mais il décide de commettre ce crime abominable, rappelle son frère et lui fait manger ses trois fils. Il ne s’agit pas seulement d’une détestation entre frères. Atrée découvre que son frère est parjure, que sa femme est une putain et que sa lignée est suspecte. C’est un roi qui n’a qu’une couronne. Il annule la descendance de son frère comme la sienne a été annulée, pour rétablir l’égalité avec Thyeste. Tout l’enjeu de la pièce est de faire comprendre qu’il n’y a pas un gentil contre un méchant. Il faut créer cet équilibre des forces entre deux frères qui restent dans les ténèbres et nous y maintiennent également. La tragédie nous laisse repartir avec ce problème, avec cette question sans réponse, car il y a des choses qui restent inextinguibles. Ce théâtre n’est ni politique, ni philosophique, ni moralisateur, ni pédagogique. Il est purement empathique. Il est le théâtre du consensus passionnel. Il s’agit de pleurer ensemble. Cette empathie est au cœur du théâtre et j’ai envie de poser devant les spectateurs cette impasse tragique qui nous amène à pleurer ensemble. Parce que nous sommes ensemble.

 

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

Thyeste
du vendredi 6 juillet 2018 au dimanche 15 juillet 2018


à 21h30, relâche le 11. Tél. : 04 90 14 14 14. Durée estimée : 2h30.

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