La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Danse - Entretien

Thierry De Mey

Thierry De Mey - Critique sortie Danse
© D.R. Légende photo : Thierry De Mey

Publié le 10 janvier 2010

Corps en mouvements

Compositeur atypique autant que cinéaste singulier, complice notamment d’Anne Teresa de Keersmaeker, Michèle Anne De Mey ou William Forsythe, Thierry De Mey trame son œuvre à la croisée de la musique, de la danse et du cinéma.

Qu’est-ce qui relie la musique, la danse et le cinéma dans votre travail ?
Au cœur, il y a le mouvement qui provoque la fusion en une démarche synthétique. C’est le point d’intersection de ces disciplines et le centre de gravité de mon travail. Le mouvement du corps humain me fascine. Récemment, les recherches en psychologie cognitives lui ont donné le statut de sixième sens. Notre organisme possède plus de « récepteurs » pour le capter que pour le goût ou l’odorat et ce sens s’applique non seulement à notre propre mobilité mais aussi à celle des autres. Il est essentiel dans la construction et le développement de l’identité. Le bébé construit son « moi » en vérifiant que ses mouvements sont les siens, bien avant de parler, ou de se reconnaître ou d’identifier les personnages du petit théâtre autour de lui. Mes expéditions cinématographiques à Kinshasa m’ont aussi montré à quel point les gens s’identifient à leur manière de bouger et d’être dans leur corps.
 
Le rythme constitue aussi un élément intégrateur…
Bien sûr, le rythme permet des relations latérales entre les disciplines. Il est ce qu’on repère comme identique dans une collection hétéroclite d’objets : le même dans le différent. Mais je ne le perçois pas comme des durées, des laps de temps déterminés mathématiquement et simplement enchaînés sans vécu. Le rythme musical est noté par deux points : c’est la tension entre les deux qu’il faut faire vivre. Mon approche reste marquée par celle de Fernand Schirren, professeur de rythme à l’école Mudra à Bruxelles dans les années 70. Sa théorie reposait sur le dualisme entre le « hé », associé à l’élan du mouvement, au saut, par métaphore à l’individuation, et le « boum », désignant le retour au sol, le non mouvement et, par extension, le nous, le même. La tension et la continuité entre ces deux points font toute la qualité rythmique, qu’elles se rapprochent de la pulsation comme dans les percussions africaines, ou qu’elles s’étirent comme dans le raga indien.
 
Dans Musique de tables, partition pour mains, vous associez gestes musical et chorégraphique, de même que dans Light music, les mouvements de Jean Geoffroy dans l’espace se traduisent en traînées lumineuses et en musique.
Ces pièces explorent les lisières du mouvement, tantôt musical, tantôt chorégraphique, ou les deux. Quand le geste de la main produit du son, en frappant la table ou en déclenchant de la musique par sa trajectoire et sa vitesse dans l’espace, il prend alors un sens musical. Mais il existe aussi simplement en tant que geste, c’est-à-dire chorégraphique.
 
Vous présentez également beaucoup de films de danse. Comment restituer avec l’image le vivant du mouvement ?
L’enjeu est de parvenir à transposer les paramètres d’une discipline à l’autre : traduire l’espace, la durée scénique dans le temps cinématographique, la singularité de l’écriture chorégraphique… Dans Violin Fase par exemple, Anne Teresa de Keersmaeker décrit le dessin d’une rosace au sol. Le cadrage peut casser la perception de ce développement spatial. Pour le rendre visible, nous avons disposé une fine couche de sable blanc, si bien que le tracé apparaît peu à peu. Dans One Flat Thing, reproduced, pièce extrêmement complexe de William Forsythe, j’ai introduit des focus pour rendre lisibles les principes du mouvement, déclenché par des signaux précis, et les stratégies organisationnelles, tout en restituant les déplacements d’ensemble par la trajectoire de la caméra et des plans globaux, de face et d’en haut. L’effet de présence est sans doute le paramètre fondamental. La danse est portée par des corps. Pour rendre cette présence palpable dans le film, je fais entendre le souffle, les pas, les bruits du corps en mouvement… Cette information subliminale donne de la chair à l’image et nous permet d’y projeter notre propre identité.
 
Entretien réalisé par Gwénola David


Autour de Thierry De Mey, « Images » le 29 janvier 2010, « Musique d’aujourd’hui / images » le 30 janvier 2010, à 20h30, à la Maison de la musique, 8 rue des Anciennes-Mairies, 92000 Nanterre. Rens. 39 92 et www.nanterre.fr.

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