La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2018 - Entretien / Oskaras Koršunovas

Tartiufas

Tartiufas - Critique sortie Avignon / 2018 Avignon Festival d’Avignon. Opéra Confluence
© D. Matvejev Tartuffe selon Oskaras Koršunovas.

Opéra Confluence / texte de Molière / traduction Aleksys Churginas / mes Oskaras Koršunovas
Entretien Oskaras Koršunovas

Publié le 22 juin 2018 - N° 267

Metteur en scène majeur de la scène européenne, Oskaras Koršunovas est relativement peu visible sur les scènes françaises. Parmi ses succès, Hamlet, Les Bas Fonds, Miranda d’après La Tempête, ou plus récemment La Mouette – une pure merveille. Il présente avec sa troupe pour la première fois en France sa mise en scène de Tartuffe, qu’il inscrit pleinement dans notre temps. 

En quoi le texte de Molière est-il aujourd’hui une source d’inspiration pour vous ?

Oskaras Koršunovas : Ce n’est que récemment que j’ai réalisé à quel point Tartuffe était d’actualité. Ce sont divers facteurs, dont le populisme de certains hommes politiques, ou la progression de formes de puritanisme dans la société, qui ont pour moi ressuscité Tartuffe. Les médias sociaux y ont contribué, peut-être même ont-ils joué un rôle crucial. Tout le monde est en train de s’entartuffer sur les réseaux sociaux, qui rappellent à tout va que c’est la morale qui est la meilleure marchandise. Le texte de Molière est éminemment théâtral. Les comédiens le font exploser de l’intérieur et invitent à réfléchir de manière alerte. Le texte en lui-même pousse le comédien à être profondément dynamique. Nous avons oublié cet aspect parce que nous avons censuré la joie de jouer au théâtre, comme si quelqu’un avait décidé de cantonner Molière dans le cadre du classicisme. Alors que Molière est né d’un masque italien sur une place de foire.

En quoi Tartuffe est-il le “héros“ de notre époque ?

O. K.: C’est un populiste qui manipule sans aucun scrupule les notions telles que la patrie, la famille, le patriotisme, Dieu, etc. Des notions qui, hélas, sont en train de perdre leur sacralité primordiale. Quand s’ouvre un vide dans l’âme, un besoin naît non pas de réellement les réhabiliter mais simplement de les faire miroiter comme un reproche permanent. Pour dissimuler un vide existentiel, social, économique, pour susciter la nostalgie ou administrer une dose d’antalgique au cerveau.

L’idée de propagande apparaît-elle dans votre mise en scène ?

O. K.: Bien sûr, car Tartuffe est un propagandiste. La plume de Molière était dressée non pas contre la foi mais contre la propagande catholique que Tartuffe a su habilement utiliser. Il est intéressant de noter que les Etats qui se servent de propagande pour gouverner se couvrent de tartuffes comme de mouches.

« Un théâtre de qualité est toujours en premier lieu un arbitre dans le champ de la morale. »

Votre Tartuffe est-il situé concrètement dans le contexte lituanien ? A quelle échelle est-il hypocrite ?

O. K.: Aujourd’hui Tartuffe est installé et agit à tous les niveaux. Il entre dans nos foyers par les réseaux sociaux sous de multiples formes, il se répand dans les milieux politiques. En Lituanie, nous avons notre Tartuffe : c’est le chef de notre majorité parlementaire. Il y en a aussi de moins importants, le public les reconnaît et cela le fait rire. En ce moment, dans toute l’Europe de l’Est, les Tartuffes défilent victorieusement. La Pologne a Jarosłav Kaczyński, la Hongrie Viktor Orbán. Les autres pays attendent leur tour. Nous savons que le populisme n’est étranger ni à Poutine, ni à Trump. Les partis extrêmes de droite et de gauche sont des Tartuffes, leurs idées n’ont rien de commun avec le rationnel, avec le réel, qui inclut l’économie mondialisée dont nous dépendons tous. Notre destin voire même celui de la planète est entre les mains d’une économie globale. Nous avons donc l’étrange impression que les processus en cours ne sont gérés par personne, que les crises ne sont pas prévues. Nous voyons cependant apparaître une foule de Tartuffes moralisateurs ou devins : des analystes financiers, des analystes ou prophètes politiques réactionnaires ou en mal d’insurrections, etc. L’un de leurs traits communs, c’est, bien sûr, une divergence entre leurs paroles et leurs actes.

Quel type de jeu demandez-vous à vos comédiens ?

O. K.: Le jeu théâtral même constitue un des sujets du spectacle. Est-ce que Melpomène existe encore ? Est-ce que le jeu d’acteur est toujours possible, au sens classique du terme ? Existe-t-il un jeu contemporain, un non-jeu ? Comment les technologies scéniques interagissent avec ces héritages et savoir-faire, est-ce qu’elles tuent l’acteur ou l’aident ? Dans un certain sens, nous avons choisi Molière pour cette raison majeure : il a été l’un des hommes de théâtre les plus importants dans le domaine du jeu d’acteur.

Est-ce que de nos jours les Tartuffes sont identifiables ?

O. K. : Il devient de plus en plus difficile d’identifier un Tartuffe. Dans le monde libéral, il est une hydre et quand on lui coupe une tête, dix nouvelles têtes repoussent à sa place. Cela devrait d’ailleurs être une des missions du théâtre que de le démasquer. Un théâtre de qualité est toujours en premier lieu un arbitre dans le champ de la morale.

Propos recueillis par Agnès Santi

Remerciements à Akvilė Melkūnaitė

A propos de l'événement

Tartiufas
du mardi 17 juillet 2018 au samedi 21 juillet 2018
Festival d’Avignon. Opéra Confluence
1 Place de l’Europe, Avignon

à 18h. Tél : 04 90 14 14 14. Durée : 1h50. Spectacle en lituanien surtitré en français.

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