Danse contemporaine - Critique
Somnole de Boris Charmatz
MC93 / Scène nationale d’Orléans / Chorégraphie et interprétation Boris Charmatz
Publié le 6 décembre 2021 - N° 294Adepte de grandes formes intégrant volontiers des amateurs, Boris Charmatz crée avec Somnole un solo singulier et touchant, où ensemble son corps danse et ses lèvres sifflent toutes sortes de mélodies. Une partition impressionnante de maîtrise et de subtilité.
Pourquoi ce titre de Somnole, qui semble a priori indiquer un état de torpeur ? Boris Charmatz l’explique : « Ce que j’aime avec l’idée de somnolence, c’est le spectacle mental qu’elle recèle. Bouger peu, mais tout en bougeant follement dans sa tête. » Et en effet, Somnole reflète remarquablement cette agitation intérieure qui s’invite entre veille et sommeil, d’autant plus intense et aiguisée que le solo a été conçu dans la solitude du confinement de 2020. Ce tumulte paradoxal, tout en sensations contrastées, révèle de manière aiguë les contraintes liées à l’isolement autant que les désirs d’aller vers l’autre, vers les possibles qu’offre l’ailleurs. Pour l’artiste, singulièrement, le désir s’impose de retrouver la scène, le regard des spectateurs, le partage avec le public. Les bras tendus vers le ciel, torse nu, ceint d’une jupe qui pourrait évoquer la sincérité de l’enfance, Boris Charmatz s’avance lentement, pieds nus, de dos. Il bouge d’abord de manière assez neutre, avant d’enclencher la rêverie, dont l’amplitude et les impacts vont crescendo au fil de la représentation. Il offre ainsi une danse de somnambule, non linéaire, profonde et intime. Une danse très particulière, reliée au sifflement qu’il émet en direct : cette production simultanée du son et du geste relève de la performance. Une performance que l’on a vue dans le cadre du Festival NEXT sur la petite scène très proche du public de l’Espace Pasolini à Valenciennes, où chaque détail se voit.
Rêverie intérieure et attention à l’altérité
Depuis l’enfance, Boris Charmatz sait siffler. Il rêvait même alors de composer pour un orchestre de siffleurs. Aujourd’hui, c’est une partition éminemment personnelle qu’il fabrique. Organiquement dépendante du souffle et des mélodies, la danse s’élève dans le même temps que le son, dans un équilibre ténu et fragile qui nécessite une extrême concentration. De Bach à Haendel, d’Ennio Morricone à Barbara, les ritournelles dessinent une riche mémoire que l’on se plaît à reconnaître et cette reconnaissance, sans doute variable selon les âges et autres paramètres, prouve à quel point de telles réminiscences constituent un imaginaire collectif. Alanguie ou frénétique, repliée ou déployée, tendre ou rageuse, la danse traverse toutes sortes d’états. Malgré leur aspect référencé, les mélodies n’écrasent en rien la danse, qui n’est pas un accompagnement mais libère au contraire toute sa puissance expressive et intuitive. Tissé dans une forme retenue et maîtrisée, tricotant de subtiles transitions, le lien noué entre danse et musique impressionne fortement. Dans un état somnolent certes, mais ô combien attentif au monde.
Agnès Santi
A propos de l'événement
Somnoledu mercredi 19 janvier 2022 au dimanche 23 janvier 2022
MC93
9 bd Lénine, 93000 Bobigny.
Scène nationale d’Orléans, Bd Pierre Ségelle, 45000 Orléans. Le 26 janvier 2022 à 20h30. Tél : 02 38 62 75 30.
Également le 11 février aux Hivernales à Avignon, les 18 et 19 février à Charleroi Danse Bruxelles, du 25 au 27 février à Montpellier Danse, du 2 au 4 mars 2022 à Bonlieu, scène nationale à Annecy. Spectacle vu dans le cadre du Festival NEXT à l’Espace Pasolini à Valenciennes. Durée : 1h.