Jean Lambert-wild / Coloris vitalis et Un clown à la mer
Entre explosion de couleurs et rêve de longue [...]
Avec Sœurs (Marina & Audrey), Pascal Rambert poursuit son exploration des lignes de tension et d’ébranlement de l’intime. Et offre à Marina Hands et Audrey Bonnet une partition dramatique à la hauteur de leur puissance d’incarnation théâtrale.
L’une face à l’autre, sur un plateau à la nudité presque absolue (Pascal Rambert signe, outre le texte et la mise en scène, la scénographie et les lumières de Sœurs (Marina & Audrey)*, spectacle créé à la Scène nationale d’Annecy), Marina Hands et Audrey Bonnet incarnent deux personnages de sœurs portant leurs propres prénoms : Marina et Audrey. Un effet de réel caractéristique des œuvres de l’ancien directeur du Centre dramatique national de Gennevilliers, qui travaille à un théâtre de l’hyper-présent cherchant à rendre palpable la matière de notre époque, les mouvements et les énergies de « l’ici-et-maintenant ». Reprenant la structure de Clôture de l’amour (pièce pour laquelle Pascal Rambert a obtenu le Grand Prix de littérature dramatique en 2012), cette dernière création creuse le motif du face-à-face conflictuel. Ici, ce sont deux sœurs ennemies qui surgissent et s’opposent, se contredisent, se malmènent, se défient, se traitent mutuellement de folles, « se hurlent dessus » comme elles avouent elles-mêmes le faire depuis 30 ans. Elles remâchent leurs pires souvenirs d’enfance et d’adolescence, se stigmatisant l’une l’autre, éclairant de jours contradictoires des pages de leur histoire familiale.
Les traumas de l’enfance
On est instantanément saisis par la violence guerrière avec laquelle les mots fusent et frappent. Aucune espèce de préambule ne vient introduire ce tête-à-tête brutal, qui prend dès la première réplique la forme d’un règlement de compte. « Tu ne viens pas sur mon lieu de travail je t’ai suffisamment tolérée », tonne pour commencer Marina. Et pourtant Audrey va rester. Et va parler. Va faire claquer invectives et accusations, se voyant elle-même renvoyée à toutes sortes de supposés manquements. Sans chercher à indiquer qui, de l’une ou de l’autre, a raison ou a tort, Pascal Rambert déploie les élans d’une langue nerveuse, économe, tatillonne, itérative. Une langue qui donne l’impression d’agir, au fur et à mesure de son avancée, comme un véritable combustible. Marina Hands et Audrey Bonnet se lancent à corps perdu au sein de cette substance éruptive. Elles confèrent à ce jeu de massacre teinté de causticité une incroyable amplitude. Il fallait deux grandes interprètes pour investir ainsi les ambivalences et les zones d’ombre d’une relation éminemment complexe. Répulsion, amour, aveuglements, obsessions, poids des névroses et des traumas de l’enfance… Ce tourbillon de secousses nous trouble et nous questionne. Nous fait ressentir, au plus vif, des sentiments plus qu’excessifs : impitoyables.
* Texte publié aux Solitaires Intempestifs.
Manuel Piolat Soleymat
Du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h. Durée de la représentation : 1h30. Spectacle vu lors de sa création, le 6 novembre 2018 à Bonlieu – Scène nationale d’Annecy. Tél. : 01 46 07 34 50. www.bouffesdunord.com
Egalement le 22 janvier 2019 au Panta Théâtre à Caen.
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