La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Simon Abkarian

Simon Abkarian - Critique sortie Théâtre Nanterre Théâtre Nanterre-Amandiers
Simon Abkarian Crédit photo : Antoine Agoudjian

Théâtre Nanterre-Amandiers / Le Dernier Jour du jeûne, une tragi-comédie de quartier / texte et mes Simon Abkarian

Publié le 24 février 2014 - N° 218

Après Pénélope ô Pénélope, créée en 2008, Simon Abkarian a écrit et met en scène la première partie d’une saga qui devrait être à terme un triptyque. Le Dernier Jour du jeûne est une tragi-comédie « à la méridionale », qui ouvre les portes et révèle la parole mal entendue et mal traitée du gynécée.

Comment s’organise le triptyque dont cette pièce est le premier volet ?

Simon Abkarian : Pénélope ô Pénélope raconte l’attente de Pénélope de son point de vue, son intime, son histoire, transposée quelque part aujourd’hui, au Moyen-Orient. Le dernier volet, qui évoquera la guerre, s’insèrera entre Pénélope ô Pénélope et Le Dernier Jour du jeûne, qui installe les mêmes personnages vingt-cinq ans plus tôt, dans le paradis perdu d’avant la guerre. Mon rêve est de pouvoir un jour jouer les trois ensemble.

Que raconte ce premier volet ?

S. A. : C’est un matin ; les femmes parlent entre elles. La fille cadette, qui veut faire des études, l’aînée, qui jeûne pour voir apparaître son futur époux en rêve, la mère, qui tient la maison, la tante érudite qu’on croit être devenue folle à force de lire : tout ce petit monde se réveille au monde et découvre un problème. La fille du voisin est enceinte. Elle a été violée par son père, un veuf, qui a fait le serment de ne plus sortir de sa boucherie. Cet inceste sera puni de mort par Théos, le père, accompagné par son fils qui sera témoin du meurtre.

« Le jeu est le voile qui permet de dire l’indicible. »

Pourquoi ?

S. A. : Il est obligé de le suivre, comme Oreste est obligé de prendre l’épée qui va tuer sa mère. On ne discute pas cette éducation qui se fait par l’exemplarité sanglante, c’est comme ça. Dans tout le bassin méditerranéen, les choses se règlent ainsi. Malheureusement ou heureusement : tel n’est pas mon propos. Je dis ce qui se passe dans ma pièce, et non pas si c’est bien ou mal. « Ma Méditerranée n’est pas celle de l’exécution sommaire », ai-je entendu. Mais la mienne non plus ! Le théâtre est justement un des endroits où on peut dire les choses sans être d’accord ou pas d’accord, par le souffle, la chair, le jeu. Le jeu est le voile qui permet de dire l’indicible, le masque de la pudeur qui empêche la vulgarité, la condescendance, la pornographie des sentiments. Tant que c’est du jeu, tout est admissible.

Pourquoi faire parler les femmes ?

S. A. : J’ai essayé de rentrer dans le gynécée fermé aux hommes parce qu’ils s’en excluent. Il s’agit de dire les paroles des femmes, notamment sur leur plaisir, qui échappent aux hommes qui n’y comprennent rien. Tant qu’on n’aura pas réglé les rapports entre les hommes et les femmes, le Moyen-Orient n’avancera pas. Il ne s’agit pas seulement de manquements politiques mais de manquements à l’épanouissement, au corps, à la musique, au plaisir de l’autre, en une guerre constante, sourde et souterraine transmise de génération en génération. J’ai envie, pour ma part, d’entendre d’autres chants, d’autres danses, d’autres justesses. Les femmes constituent la plus grande minorité au monde : elles attendent à la porte, accusées d’être des hystériques ou des emmerdeuses dès qu’elles élèvent la voix. Tant qu’on s’amputera de cette moitié-là, on ne sera pas totalement évolué.

Vous leur donnez donc le beau rôle ?

S. A. : L’humanité est plus compliquée que cela. Il n’y a pas d’un côté, les gentilles et de l’autre, les méchants ! Les personnages sont tous attachants, beaux à voir, on leur donne des circonstances atténuantes. Même le boucher : c’est le voisin très gentil dont on ne savait pas qu’il était comme ça. Il faut de la bienveillance pour l’humain, même avec ses ennemis ! Tous les personnages de cette pièce sont pris au piège de leur rôle social et de sa représentation. Peu à peu, ils se fissurent et se dévoilent. Les situations sont tellement extrêmes que ça craque à l’intérieur. Les êtres se révèlent absolument. Ce que j’aime dans la tragédie et le théâtre, c’est justement cette manière fatidique : on s’attend à ce à quoi on ne s’attend pas. Le dévoilement est comme une forme qui submerge le personnage. La beauté tient à la capacité de l’acteur de déployer ce que le personnage a compressé depuis tant d’années et tant de siècles, nous amenant doucement mais irrémédiablement à la révélation absolue. Et les personnages se révèlent à eux-mêmes par l’autre, dans cet acte de courage et d’amour qu’est le fait de se livrer à l’autre et de l’écouter.

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

Le Dernier Jour du jeûne
du vendredi 14 mars 2014 au vendredi 11 avril 2014
Théâtre Nanterre-Amandiers
7 Avenue Pablo Picasso, 92000 Nanterre, France

Du 14 mars au 6 avril 2014. Mardi, mercredi, vendredi et samedi à 20h ; jeudi à 19h30 ; dimanche à 15h30. Tél. : 01 46 14 70 00. L’Union, CDN de Limoges, 20, rue des Coopérateurs, 87006 Limoges. Du 9 au 11 avril 2014. Mercredi et vendredi à 20h30 ; jeudi à 19h. Tél. : 05 55 79 90 00.

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