Zoo, d’après Vercors, mise en scène Emmanuel Demarcy-Mota
Emmanuel Demarcy-Mota installe [...]
Adaptée du roman éponyme de Christiane Singer, Julie Delille et sa compagnie Le Théâtre des trois Parques façonnent une proposition théâtrale de toute beauté, dont l’intensité dramatique impressionne.
C’est l’histoire d’une consumation de l’être, d’une chute vertigineuse dans un abîme obscur, douloureux, avilissant, avant la renaissance. L’histoire d’un macabre enfermement qui ne parvient pas à éteindre les forces de la vie. Librement inspirée par une nouvelle de L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, qu’elle a découverte à l’âge de quinze ans et qui la troubla, Christiane Singer a voulu quelques décennies plus tard « aller à la rencontre de ce trouble, le dilater, l’évaser à l’extrême. » Elle y est parvenue de belle façon. Le conte se fonde sur l’amour ardent et partagé qui unit le Seigneur Sigismund et la jeune Albe. Bientôt la passion qu’éprouve Sigismund pour Albe se mue par jalousie en haine aveugle. Après avoir tué le page qui approchait sa bien-aimée de trop près, Sigismund séquestre Albe, lui fait raser la tête par son barbier et l’oblige chaque jour à boire dans le crâne du page serti d’argent. Cette histoire, c’est Sigismund lui-même qui la raconte, dans un moment de théâtre d’une intensité remarquable. D’abord à cause de la scénographie intemporelle, d’une impressionnante et chatoyante beauté, tout en nuances et transparences. Chantal de la Coste, qui signe avec Julie Delille l’adaptation et crée aussi la scénographie et les costumes, façonne un écrin épuré, aussi impeccablement structuré qu’un intérieur japonais, où les quelques signes qui l’habitent prennent tout leur sens. Ensuite à cause de l’interprétation remarquablement maîtrisée de Laurent Desponds, d’une grande profondeur et d’une grande sensibilité, qui impose sans jamais forcer le trait une écoute concentrée.
Raffinement et profondeur
Dès le début de son récit, « lettre de Sigismund d’Ehrenburg au Seigneur de Bernage », Sigismund rend hommage à son destinataire, qui lui a permis de s’extraire de l’enfer, de redevenir vivant. Il y décrit l’amour fulgurant, l’enfer glacé de la haine, et, enfin, le retour de l’amour grâce à la visite du Seigneur de Bernage, à un regard autre sur les faits. Pendant tout le temps du récit, Albe, muette, demeure présente et agissante. Place ensuite au « cahier d’Albe d’Ehrenburg ». C’est à Albe, interprétée avec grâce et finesse par Lyn Thibault, de prendre la parole, de raconter comment grâce aux songes de son esprit elle supporte sa séquestration, comment au cœur de cette chambre mortuaire la vie restait plus forte. La langue très belle, affûtée, limpide, révèle toute l’amplitude et toute la puissance du sentiment amoureux, au cœur d’une époque où cerfs et loups régnaient sur les forêts. Participant à la réussite du projet, les lumières précises d’Elsa Revol s’immiscent dans l’obscurité, dans une pénombre entêtante. Dans la lignée de la pièce Je suis la bête (2018), adaptée du roman d’Anne Sibran, Julie Delille confirme son talent singulier et sa maîtrise des effets du théâtre.
Agnès Santi
du lundi au vendredi à 20h30, samedi à 18h30, dimanche à 16h, relâche le mardi. Tél : 01 48 13 70 00. Durée : 1h40. Spectacle vu au CDN d’Orléans en décembre 2019. Roman publié aux éditions Albin Michel (2006).
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