La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Danse - Entretien Dominique Brun

Sacre # 197

Sacre # 197 - Critique sortie Danse Noisy-le-Sec Théâtre des Bergeries
Crédit : Ivan Chaumeille Légende : Six danseurs en répétitions pour le Sacre # 197 de Dominique Brun.

Théâtre des Bergeries
Chorégraphie Dominique Brun

Publié le 26 novembre 2012 - N° 204

Après avoir reconstitué des séquences du Sacre du Printemps pour le film de Jan Kounen Chanel et Stravinski, Dominique Brun revient sur sa démarche en entremêlant les enjeux de la reconstitution, de la création et de la recréation. Elle crée aujourd’hui « son » Sacre # 197, et proposera la saison prochaine une reconstitution historique de la pièce de Nijinski.

Votre pièce Sacre # 197 est une création, mais vous avez néanmoins pris à bras le corps la question des sources. Comment les avez-vous traitées ou maltraitées ?

Nathalie Yokel : Depuis sa création en 1913 par Nijinski, on a recensé plus de 220 chorégraphies du Sacre du Printemps. Curieusement, je n’avais pas en tête de faire un Sacre, j’avais plutôt l’idée de faire un travail qui s’inscrive, en création, dans la démarche autour des archives que j’ai utilisées pour le film Chanel et Stravinsky de Jan Kounen. Je voulais faire tomber les fantasmes d’authenticité qui sévissent dans les discours de la danse lorsque l’on reconstruit une pièce. On pense qu’on a affaire à la copie conforme mais, quand une danse est perdue, on a des traces qui sont souvent immobiles ou qui viennent par exemple du champ littéraire, et qui fonctionnent avec d’autres contraintes. Il est très rare de pouvoir prétendre à l’authenticité. On ne peut parler que d’interprétation d’un texte et il y a toujours une part de trahison. Mon propos ici était plutôt l’idée de la reconstitution par la création : je génère de la fiction à partir de matériaux que vous appelez les sources, qui sont donc rattachées au réel de la production d’origine. Si je m’empare des archives, je vais produire un certain type de danse, et si je confronte ces archives à d’autres chorégraphes interprètes, que va-t-il en sortir ?

Les danseurs-chorégraphes en question constituent un véritable casting !

N. Y. : Effectivement. Je travaille depuis longtemps avec Cyril Accorsi et Julie Salgues, et nous sommes très attachés à cette collaboration. Quant à François Chaignaud, Emmanuelle Huynh, Latifa Laâbissi et Sylvain Prunenec, je les ai tous croisés à un moment donné dans le travail. J’avais vraiment envie d’avoir affaire à des interprètes très puissants, qui s’emparent de mon imaginaire, qui le broient au prisme de leur propre épreuve de corps, et je voulais que leur force, leur puissance de chorégraphes puissent s’exprimer. Ils ont travaillé notamment sur la figure de l’élue, d’après les quatorze dessins de Valentine Gross-Hugo. Sacre # 197 est plutôt crépusculaire, c’est-à-dire que je ne travaille pas forcément sur la charge tensionnelle et dynamique apportée par la musique. J’ai plutôt choisi de dilater le temps, même s’il y a des fulgurances comme le solo de l’élue et la glorification. Et bien sûr il y a ce que j’appelle le corps du Sacre : une manière de bouger qui nous vient de l’idée d’un corps archaïque, à la limite de la bestialité, avec cette rotation interne et ce menton en avant.

Dans votre précédente démarche autour du Faune, vous aviez produit un DVD pédagogique. Avec Le Sacre, reliez-vous également l’acte de création avec la transmission ?

N. Y. : Le Sacre # 197 n’a pas une dimension pédagogique, mais pour moi les deux s’articulent et l’enjeu était de se déplacer. Or, si je me lançais dans une reconstitution historique, j’allais faire la même démarche que mes prédécesseurs, c’est-à-dire tendre à dire qu’il n’y a pas de passerelle entre ce qui serait reconstitution, création et recréation. Je pense justement que les passerelles sont multiples. Il faut penser le futur à la charnière du présent. Cette dimension pédagogique est plus visible dans la suite de ma démarche intitulée Sacre # 2, qui est une reconstitution historique du Sacre du Printemps, avec des danseurs professionnels et huit danseurs amateurs.

Comme ce Sacre # 2 se distingue-t-il de la version « officielle » portée par l’Opéra de Paris ?

N. Y. : Bien sûr, j’ai accédé aux mêmes sources que celles utilisées par le Joffrey Ballet en 1987 et qui a donné sa version au Ballet de l’Opéra. Mais à l’époque il en manquait une très importante, qui est la partition autographe de L’Après-midi d’un Faune de Nijinski. Avec elle, le chorégraphe nous donne accès à ce qu’était vraiment son écriture. C’est à partir de cette pierre de Rosette que j’ai pu proposer mon propre déchiffrage des archives.

La partition du Faune a-t-elle agi pour vous comme la pièce manquante d’un puzzle ?

N. Y. : C’est mon palimpseste : c’est l’écriture qui se glisse dessous, et qui évidemment ré-affleure de manière détournée dans la reconstitution du Sacre que j’ai faite à la fois pour le film, mais aussi dans le Sacre # 197 et le Sacre # 2.

Propos recueillis par Nathalie Yokel

A propos de l'événement

Sacre # 197
du samedi 15 décembre 2012 au dimanche 16 décembre 2012
Théâtre des Bergeries
5 rue Jean Jaurès, 93130 Noisy-le-Sec

Le 15 décembre 2012 à 20h30 et le 16 décembre à 16h. Tel : 01 41 83 15 20.
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