« Rohtko » de Łukasz Twarkowski interroge la valeur des œuvres d’art contemporain : un rendez-vous inabouti
Pour son premier rendez-vous avec les publics français, le metteur en scène polonais Łukasz Twarkowski présente Rohtko aux Ateliers Berthier. Naviguant entre théâtre, arts visuels, musique, danse et cinéma réalisé en direct, ce spectacle hybride tente vainement d’approfondir pensées et questionnements sur le marché de l’art, la valeur intrinsèque d’une œuvre, notre rapport à l’authenticité, à l’unicité, à la copie…
Jusqu’à présent, on ne connaissait le nom de Łukasz Twarkowski qu’à travers des génériques de spectacles de Krystian Lupa (Salle d’attente, Perturbation, Place des héros…) au sein desquels il figurait en tant que vidéaste ou collaborateur artistique. C’est aujourd’hui, pour la première fois, une de ses propres mises en scène que l’artiste polonais quadragénaire présente au Théâtre national de l’Odéon, à Paris, avec une très belle troupe d’interprètes polonais, lettons et chinois (la représentation, surtitrée en français et anglais, est en letton, anglais et chinois). Ce spectacle intitulé Rohtko a été créé en mars 2022, au Dailes Theatre de Riga, en Lettonie. Il révèle, en un peu moins de quatre heures, de façon brouillonne et diluée, une tentative de réflexion sur la valeur marchande (et symbolique) des œuvres d’art modernes et contemporaines dans notre monde capitaliste. Sur le papier, ce projet mêlant différentes disciplines et croisant de multiples lignes narratives avait tout pour séduire. Mais la réalité du plateau et des écrans élaborée par Łukasz Twarkowski accumule de manière souvent démonstrative, et un peu trop systématique, les effets de style, de rupture, de contraste, de disproportion.
Un faux Rothko peut-il valoir 8,3 millions de dollars ?
Entre fragments de concret et magnifiques projections cinématographiques, ce kaléidoscope de points de vue ouvre sur l’existence du peintre Mark Rothko (1903-1970) et de sa seconde épouse, Mell. Il nous plonge également dans des scènes mettant en jeu des artistes contemporains et des acteurs du milieu de l’art numérique. Il revisite, enfin, une incroyable affaire de fraude ayant défrayé la chronique en 2004 : la vente, par une célèbre galerie new-yorkaise, d’une fausse toile de Rothko pour 8,3 millions de dollars. D’une histoire à l’autre, d’un medium à l’autre, la représentation s’étire et s’éparpille. L’écriture et la dramaturgie de l’autrice Anka Herbut manquent de maîtrise. Elles ne parviennent pas à fédérer les différentes énergies à l’œuvre, à générer de la profondeur et de la hauteur théâtrales. Cette proposition bancale nourrit pourtant des idées intéressantes sur le vrai et le faux, l’original et la réplique, la valeur objective de l’émotion, de la beauté, de la relation à l’objet artistique, au créateur ou à la créatrice. Mais à trop vouloir briller, l’ensemble se perd et s’affadit. La forme, ici, écrase le déploiement du sens. Cette première confrontation à l’univers de Łukasz Twarkowski est un rendez-vous manqué. Elle laisse une impression d’inabouti qui donne toutefois envie de prendre date, à l’occasion d’un futur spectacle, pour une nouvelle rencontre.
Manuel Piolat Soleymat
A propos de l'événement
Rohtkodu mercredi 31 janvier 2024 au vendredi 9 février 2024
Odéon-Théâtre de l’Europe - Ateliers Berthier
1, rue André Suarès, 75017 Paris
Du mardi au samedi à 19h30, le dimanche à 15h, relâche le lundi. Tél. : 01 44 85 40 40. Durée : 3h55 (avec un entracte).